When:
April 14, 2021 @ 12:00 pm – 1:30 pm
2021-04-14T12:00:00+00:00
2021-04-14T13:30:00+00:00

Noon Talks

April 14 

12 : 00 – 13 : 30 

Philippe Bourdin (et dORIN URITESCU), avec la participation de Martin Maiden (Université d’Oxford)

Philippe Bourdin nous parlera du dernier article rédigé avec notre regretté collègue Dorin Uritescu (décédé il y a exactement un an) :

« Sur le comportement insolite d’une flexion roumaine »

https://yorku.zoom.us/j/92861864274

 

Comme celui des autres langues romanes, le système verbal du roumain entendu au sens large distingue entre deux types d’éléments chargés, entre autres, de coder la personne et le nombre : les flexions suffixales et les pronoms clitiques. Les flexions sont inséparables de leur support verbal : pensons par exemple au suffixe -èrent de chantèrent en français. Quant aux clitiques, ils manifestent par rapport à leur hôte verbal une autonomie un peu plus grande, quoique limitée : pensons à je et à la dans Je la vois. On parle de « cliticisation » pour désigner le processus qui a transformé des pronoms anciennement autonomes, notamment en français, en clitiques. Il s’agit au fond d’un processus d’assujettissement qui, selon de nombreux linguistes, relèverait d’un phénomène bien plus général, appelée « grammaticalisation » : les éléments qui appartiennent à la grammaire d’une langue avaient, à un stade antérieur de son histoire, un statut lexical. Or, il se pourrait que dans de nombreuses variétés populaires du roumain il faille parler non pas d’assujettissement, mais au contraire d’émancipation.

Le phénomène se manifeste essentiellement à la 2ème personnel du pluriel de l’impératif, par exemple dans les deux traductions de l’impératif Plaignez-vous ! du français. La forme courante en roumain standard est plângeți-vă : -ți est le suffixe flexionnel qui code la 2ème personne du pluriel, est le pronom clitique de la 2ème personne du pluriel, qui est donc ici réfléchi. La structure de plângeți-vă  est parallèle à celle de plaignez-vous en français, avec le suffixe flexionnel -ez et le clitique réfléchi vous. Fait insolite, on entend, dans de nombreuses régions de la Roumanie, non pas plângeți-vă, mais plânge-vă-ți. Ce qui est insolite, c’est que le -ți se soit libéré de la tutelle étroite que devrait « normalement » exercer sur lui son support verbal. Là est l’émancipation. Mais alors, si assujettissement veut dire grammaticalisation, ne faut-il pas considérer qu’émancipation veut dire dégrammaticalisation ?

La question concerne au premier chef le roumain. Cependant, la soulever et en discuter, c’est apporter une contribution, modeste, aux débats, très animés depuis une vingtaine d’années, que suscite l’idée même que la dégrammaticalisation soit un processus concevable en linguistique historique.

« Sur le comportement insolite d’une flexion roumaine » (Ph. Bourdin et D. Uritescu), article à paraître dans les Actes du 29ème Congrès International de Langue et Philologie Romanes (Copenhague, 1er-6 juillet, 2019)