Dorin Uritescu – Professeur émérite du Département d’Études françaises, Collège universitaire Glendon

Dorin Uritescu

Dorin Uritescu

Le Département d’études françaises de Glendon est aujourd’hui en deuil, et, avec lui, l’ensemble du monde universitaire. Dorin Uritescu nous a quittés le 15 avril, sa femme Gabriela et ses filles Joanna et Ramona à ses côtés. Il a été inhumé le vendredi 17 avril dans la plus stricte intimité.

 

En la personne de Dorin Uritescu, nous perdons un très grand linguiste, un enseignant passionné, mais aussi, pour beaucoup, un ami – et quel ami il savait être ! Dorin était très apprécié et estimé de ses collègues et de ses étudiants tant pour son érudition, son sens de l’éthique et de la justice, que pour son humilité, sa délicatesse et sa grande générosité. Nous nous souviendrons longtemps de son sourire irrésistible et de cette petite pointe d’accent roumain qui animait avec chaleur et optimisme nos discussions.

 

Dorin Uritescu était avant tout un passionné de linguistique : dialectologie et linguistique historique, en l’occurrence, mais aussi linguistique roumaine, romane et française, et linguistique générale. L’immensité de son savoir et l’exceptionnelle diversité de ses centres d’intérêt commandaient à elles seules le respect. S’il privilégiait la recherche sur le terrain, dans les montagnes de Transylvanie, il avait également ce rare talent de savoir collaborer authentiquement avec des collègues se réclamant de cadres théoriques différents du sien ; ce même talent avec lequel il mettait en relation des chercheurs d’ici et d’ailleurs, créant ainsi des réseaux de recherche inattendus.

Ses succès pédagogiques reposaient sur une conjonction de talents naturels et de qualités acquises. En premier lieu, son usage de la langue, tant parlée qu’écrite, était d’une précision et d’une élégance que lui auraient envié bien des intellectuels dont la langue maternelle est le français. Travailleur méthodique et inlassable, Dorin Uritescu était un véritable humaniste, un homme de vaste culture et d’une exceptionnelle richesse intérieure. Ces qualités faisaient de lui un de ces enseignants dont le rayonnement humain et intellectuel est de nature à marquer pour le meilleur et durablement collègues et étudiants, et au-delà l’institution universitaire, dans ce qu’elle a de vital, de nécessaire et d’irremplaçable.

Responsabilités administratives, comités, encadrement des étudiants des Études supérieures, cours… La contribution de Dorin Uritescu à la communauté de Glendon et à l’Université York était à l’image même de sa personnalité : généreuse, positive, réfléchie, empreinte de ce juste équilibre entre rigueur et détermination. Le Programme de linguistique et sciences du langage tout comme le Département d’études françaises, dont il a été respectivement coordonnateur et directeur et auxquels il était très attaché, lui doivent beaucoup ; sans oublier le Centre de Recherche sur le Contact des Langues de Glendon (devenu depuis le Centre de Recherche sur le Contact des Langues et des Cultures), dont il a été co-fondateur. 

 

La carrière universitaire de Dorin Uritescu débuta en 1977 à l’Université de Timișoara, où il enseigna la dialectologie et la linguistique historique jusqu’en 1989, avec une interruption entre 1982 et 1984, période pendant laquelle il fut professeur invité au département de linguistique de l’Université de Chicago. Il arriva à Toronto en 1991, partageant d’emblée son activité d’enseignant entre la linguistique et les cours de langue française ainsi qu’entre l’ancienne Faculté des Arts et le Collège Glendon. En 2000, il obtenait un poste menant à la permanence à Glendon, avant d’être promu quatre ans plus tard au rang de professeur titulaire. Il était titulaire de deux doctorats. Le premier lui fut décerné en 1978 par l’Université de Timișoara. Le second, obtenu en 1994 à l’Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III), lui valut la mention « Très Honorable à l’unanimité et avec les félicitations du jury », distinction la plus haute que puissent accorder les universités françaises à l’issue d’une soutenance de thèse. L’Université ‘Aurel Vlaicu’ d’Arad lui décerna le titre de professeur honoraire en 2001 et il reçut en 1998 le prix de l’Académie roumaine de linguistique, en récompense pour le premier volume de son Atlas de la Crișana, ainsi que, en 2011, le Mérite académique de l’Académie roumaine pour sa contribution à l’étude et à la promotion de l’étude de la langue roumaine. Son activité de recherche lui valut aussi, en 2011-12, le prix d’excellence décerné par le principal de Glendon.

 

L’œuvre de sa vie aura été le Nouvel atlas linguistique roumain de la Crișana, dont les quatre premiers volumes sont parus et dont le cinquième est suffisamment avancé pour que ses collaboratrices et collaborateurs de l’Université de Cluj puissent désormais mener le projet à bon port. Jusque deux semaines avant son décès, Dorin Uritescu lui aura consacré, non sans une abnégation absolument admirable, ce qui lui restait d’énergie intellectuelle. Il suffit de se rendre à la bibliothèque de Glendon et de feuilleter quelques pages des volumes parus pour commencer de mesurer le monument d’érudition que représente l’Atlas, fruit de recherches sur le terrain que le professeur Uritescu effectua lui-même pendant plus de quinze années avant de les superviser jusqu’à la fin de sa vie. La Crișana, située au nord-ouest de la Roumanie, est une région vaste de quelque 23 000 km2 et il fallut aller de village en village pour recueillir auprès des habitants quantité de renseignements portant sur tous les aspects du parler roumain local, selon une méthodologie d’une extrême rigueur puisqu’il s’agit de déployer des trésors d’inventivité pour n’influencer à aucun moment les intuitions des personnes sollicitées. La minutie que requiert le travail du dialectologue est sans pareille en linguistique. Toutefois, le recueil des données, si délicat et ardu soit-il, n’est que le début d’un long et patient travail analytique. Cette entreprise a mobilisé les connaissances, aussi exceptionnellement étendues qu’approfondies, de Dorin Uritescu dans un champ de la linguistique roumaine, romane et générale, qui embrassait aussi bien le lexique que la phonétique et la phonologie et la morphosyntaxe. Réalisé à l’encre de Chine, l’Atlas est quasiment, en lui-même, une œuvre d’art, mais c’est aussi, tout à la fois, une réalisation qui est à la pointe de la modernité : en étroite collaboration avec la professeure Sheila Embleton et M. Eric Wheeler, Dorin Uritescu a pu en effet, ces dernières années, en assurer la numérisation et faire œuvre dans ce domaine aussi d’authentique pionnier.

 

Not content with the Atlas, which in and of itself would have unquestionably secured his international stature as a scholar, Prof. Uritescu authored three books and co-authored two and his list of print publications also includes, among others, over 40 articles and some 26 book chapters, both authored and co-authored, several of the periodicals having published his papers ranking among the most prestigious journals in the fields of Romance linguistics and general linguistics. Dorin Uritescu enjoyed such recognition as a linguist that it may have the feel of an afterthought to mention that he was the recipient of three fellowships, including a Fullbright, as well as several research grants, among which two SSHRCC Standard Research Grants (2003-08 and 2008-11) and a SSHRC Insight Grant (2012-15).

 

Dorin Uritescu devait sa fécondité en tant que linguiste à sa connaissance intime et déliée du français et des langues romanes en général, dans leur dimension tant synchronique que diachronique. Il le devait à l’étendue et à la profondeur de son savoir théorique, qui le prémunissaient d’autant mieux contre tout dogmatisme et tout éclectisme qu’il s’enracinait au plus profond de la tradition structuraliste et fonctionnaliste européenne, tout en retenant ce qu’il y a de plus original et novateur dans certains aspects du générativisme nord-américain entendu au sens large. Il le devait à son érudition dans les secteurs de la lexicologie, de la morphologie et de la phonologie historiques ainsi que de la variation géolinguistique et sociolinguistique, qui nourrissait son respect intransigeant pour les faits et son aversion pour l’à-peu-près, si séduisant qu’il puisse être. Il le devait, enfin et surtout, à sa créativité et à l’exceptionnelle fertilité de son esprit, dont témoignent les analyses et les hypothèses développées dans ses écrits et qu’il a été donné de mesurer à toutes et tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher au fil d’une carrière qui, pour avoir été longue, n’en a pas moins été bien trop tôt interrompue.

 

Le Collège Glendon et l’Université York viennent de perdre un grand savant et un enseignant hors pair.