Quand :
mars 24, 2021 @ 11:00 – 12:00
2021-03-24T11:00:00-01:00
2021-03-24T12:00:00-01:00

Le changement linguistique au cours de la vie: juste et so dans le français de Welland (Ontario)

Raymond Mougeon et Françoise Mougeon, Collège Glendon,York University

Katherine Rehner, University of Toronto Mississauga

https://yorku.zoom.us/j/97275159140

Il est courant d’attribuer le changement grammatical ou phonologique aux enfants et de considérer que la grammaire et la phonologie des locuteurs restent stables passée la fin de l’adolescence (Sankoff, 2019). On s’attend donc à ce que les adultes ne participent pas aux changements grammaticaux ou phonologiques en cours. Si de telles suppositions restent encore largement à vérifier, un nouveau courant de recherches a commencé à scruter ce sujet en se concentrant sur des cas de changement grammatical et phonologique. Pour ce faire ces recherches examinent des données basées sur des productions orales d’adultes à différents moments de la vie de ces derniers, afin de vérifier leur (non) participation à ces changements. En ce qui concerne le français, G. Sankoff et ses collègues ont mené une recherche de ce type à partir de corpus recueillis à Montréal. Ces corpus comprenaient des locuteurs panel qui ont fourni des données sur le changement au cours de la vie (certains enregistrés deux fois, en 1971 et en 1984, d’autres trois fois, en 1971, 1984 et 1995) et des échantillons stratifiés de locuteurs enregistrés une fois (en 1971 ou en 1984), qui ont servi à établir les tendances communautaires de la variation et du changement. Dans ces études les tendances communautaires constituent un arrière-plan pour l’analyse du comportement des locuteurs panel. Ces études montréalaises ont examiné trois cas de variation morphosyntaxique et un  cas de variation phonologique et ont trouvé que les locuteurs panel participaient au changement phonologique en cours et à l’un des trois cas de changement morphosyntaxique.

La présente étude porte sur le changement au cours de la vie de locuteurs du français de Welland (Ontario), dans le cadre d’un projet de recherche sur l’évolution du français à Montréal et à Welland, des années 1970 aux années 2010. Notre étude rejoint les travaux de G. Sankoff en ce sens qu’elle examine le changement durant la vie en combinant des locuteurs panel à des échantillons stratifiés de locuteurs et examine deux cas de changement morphosyntaxique (la montée de l’adverbe de restriction juste et de la conjonction so « donc »). Elle s’en distingue cependant par plusieurs aspects. D’abord elle examine le changement sur une période de 40 ans (de 1975 à 2012-15). Plusieurs des locuteurs avaient pris leur retraite depuis une ou deux dizaines d’années avant la deuxième entrevue, ce qui a permis de capter les patrons de changement observables sur une période plus longue dans la vie des locuteurs—ce qui n’avait pu se faire dans les études précédentes. De plus, si les variétés de français parlées à Montréal et à Welland sont apparentées, à Welland, le français est une langue minoritaire confrontée à un contact beaucoup plus intense avec l’anglais. Ceci nous permet de prendre en considération l’importance relative des deux langues dans l’identité et le passé éducatif et professionnel des locuteurs et d’en tenir compte pour expliquer les différences et similarités individuelles de la (non-)participation au changement. Enfin, alors que, à Montréal, ce sont les locuteurs de la classe haute qui poussent la diffusion des cas observés de changement linguistique, à Welland, ce sont les locuteurs des classes moyenne et basse qui sont à l’origine de la montée de juste et de so. Notre étude démontre que les particularités individuelles des locuteurs jouent un rôle dans ces deux cas de changement, quoiqu’une proportion plus importante de locuteurs participe à la diffusion de juste que de so. Dans notre discussion des facteurs intervenant dans ces résultats, nous avançons que si juste et so sont adoptés par les locuteurs des classes moyenne et basse, so, variante vernaculaire empruntée à l’anglais, a fait face à une résistance plus forte que juste de la part des locuteurs de la classe haute, et a donc été plus stigmatisée.

Références

Sankoff, Gillian. 2019. Language change across the lifespan: three trajectory types, Language, (95), 2, 197-229.