Kenneth McRoberts (Left)Quinze années ! Quinze belles années à diriger Glendon ! En juin de cette année, Kenneth McRoberts va laisser la fonction de principal du Collège universitaire entre les mains de son successeur. Le E-magazine de Glendon ne pouvait laisser passer cet événement sans prendre un moment pour s’entretenir avec M. McRoberts de la période  durant laquelle il a assumé la responsabilité de guider les destinées du Collège.

E-Magazine (E.-M.) : Vous vous apprêtez à quitter vos fonctions après 15 années à la direction du Collège Glendon. Quels ont été à votre avis, les principaux développements de type académique qui se sont produits à Glendon depuis toutes ces années ?

Kenneth McRoberts (K. McR.) : Il faut souligner d’abord le renouveau du corps professoral. Plus de la moitié des professeurs du Glendon ont été embauchés au cours des dernières quinze années, suivant les retraites, les départs, etc. J’ajoute qu’à cet égard, on a vraiment insisté sur le bilinguisme.  Nous avons été rigoureux: tous les candidats à des postes de professeurs ont dû faire des présentations dans les deux langues. C’est propre à Glendon qu’on insiste ainsi sur le bilinguisme au départ, plutôt qu’après plusieurs années comme dans d’autres universités bilingues. Je pense, au total, qu’on a bien réussi ce renouveau de l’ensemble de nos professeurs. Évidemment, nous avons recruté des professeurs qui proviennent des meilleures universités non seulement au Canada, mais à Harvard, Oxford, Cambridge.

E.-M . : Est-ce que le nombre de professeurs a augmenté durant cette période ?

K. McR. : Non, et cela c’est l’aspect plus difficile. Le nombre total de professeurs a même diminué, ce qui est un résultat de la situation financière de Glendon, de l’Université York comme de toutes les universités en Ontario. Il y a donc une tendance marquée à recourir davantage aux chargés de cours, essentiellement pour des raisons financières.

E.-M. : C’est ce qu’on lisait d’ailleurs dans le livre Academic Transformation

K. McR.: Oui, et je signale que pendant le même temps, le nombre d’étudiants a augmenté d’une manière très importante. Nous avons donc perdu du terrain à cet égard.

E.-M . : Parlons des étudiants, si vous le voulez bien. Comment la population étudiante a-t-elle évolué, en nombre, depuis quinze ans ?

K. McR.: Cette population a augmenté de 40 %. Il faut dire qu’il y avait une baisse très sérieuse des inscriptions dans les années 1990, ce qui a eu comme résultat que l’Université [York] remettait en question l’avenir de Glendon. J’ignore pourquoi cela s’est produit, mais c’est arrivé. On a donc commencé à examiner cette situation pour y remédier et sur quinze ans, le nombre d’étudiants a augmenté de 40 %. Notre population étudiante est surtout de premier cycle. Nous sommes actuellement à 3 000 étudiants, dont 2 800 au premier cycle. Nous sommes typiquement, depuis les débuts, un collège d’arts libéraux (un liberal arts college). Il y a donc eu une croissance du nombre d’étudiants, mais ce qui est frappant, c’est aussi l’augmentation du taux de leur réussite, et donc de la qualité de nos étudiants. Je juge de cette qualité académique par les notes que nos étudiants ont reçues à l’école secondaire et Glendon se retrouve maintenant parmi les collèges les plus forts d’arts libéraux en Ontario. Il y a donc eu une demande croissante à chaque année pour Glendon. Seulement l’an prochain, au chapitre des demandes d’admission, l’augmentation est de l’ordre 30 %…

E.-M . : C’est donc dire que le Collège attire…

K. McR.: Oui, mais à Glendon, il faut dire que nous offrons des possibilités qui sont uniques. D’abord une formation bilingue, mais aussi une formation sur un campus de taille modeste. Nous sommes le seul campus de cette taille dans la région de Toronto. Alors, il fallait communiquer ce message que nous sommes distincts, que nous offrons quelque chose d’assez spécial. Ce message est passé. Cela a demandé beaucoup d’efforts de notre part, mais c’est passé dans les écoles. Nous avons eu une très bonne équipe de recrutement étudiant et on en voit les résultats.

E.-M . : Pouvez-vous nous parler des développements physiques sur le campus ?

K. McR.: Nous avons reçu des fonds d’immobilisation du gouvernement ontarien de 20 millions $ il y a plusieurs années. Glendon a donc pu construire un nouveau bâtiment à l’entrée qui nous a donné, en quelque sorte, une ‘entrée principale’; mais plus important encore, ce bâtiment nous a donné des salles de classes, des salles de séminaires – une quinzaine, et aussi un amphithéâtre de 250 sièges. C’était le premier projet d’immobilisation sur le campus depuis la fondation du Collège. À l’origine, notre campus était conçu pour mille étudiants. On voulait que Glendon soit un petit collège d’arts libéraux, comme aux États-Unis. Il a donc fallu trouver une expansion assez importante de nos locaux et de nos facilités pour recevoir davantage d’étudiants. Le nouveau bâtiment a été conçu par un architecte montréalais, René Daoust qui a su apprécier la beauté de notre campus et qui voulait que ce qui serait construit le soit en harmonie avec l’environnement du campus ce qui, je crois, a bien été réussi.

E.-M . : Et les bâtiments plus anciens ? Avez-vous eu à gérer des problèmes de mise aux normes, de rénovation et de modernisation ?

K. McR.: Bien sûr, mais comme toutes les universités, nous devons vivre avec les contraintes de l’entretien différé ou reporté. Beaucoup de projets de rénovations ou de modernisation des bâtiments plus anciens sont reportés dans le futur pour des raisons financières. Tout cela crée des difficultés. Bien  sûr il y a eu des programmes gouvernementaux d’immobilisation dont les universités ont profité, mais Glendon a un peu souffert d’être un campus satellite de York. Il y a eu une tendance bien compréhensible de la part de York à centrer ce type d’investissement sur son campus principal. De plus, le gouvernement ontarien ne fournit pas la valeur totale des nouveaux projets de construction et assume que les universités organizerons des collectes de fonds pour ce qui manque. Autre souci : le gouvernement ne finance pas les résidences étudiantes : celles-ci doivent s’autofinancer. Nos deux résidences ont besoin d’être rénovées, sinon d’être remplacées. De plus, nous avons un très beau campus, et nous n’avons guère de place pour plus de deux ou trois nouveaux bâtiments, si on veut respecter la beauté de notre emplacement. C’est une contrainte dont nous devons tenir compte en tout temps.

E.-M . : Comment décririez-vous la relation entre le Collège et la francophonie du Grand Toronto ?

K. McR.: Cette question est intéressante parce qu’il y a eu une évolution dans cette relation. Quand Glendon a été établi en 1966, on lui a donné un caractère bilingue surtout en fonction des idées du premier principal Scott Reid selon lesquelles il fallait préparer des leaders pour la vie publique. C’était les années ’60, la Commission Laurendeau-Dunton, etc. On se disait alors : il faut que les leaders soient bilingues et donc, on a établi un curriculum bilingue, etc. Mais cela ne se faisait pas en relation très proche avec la communauté francophone du sud de l’Ontario. À cette époque, cette communauté n’était pas bien structurée et historiquement, elle était davantage concentrée à l’est de l’Ontario autour d’Ottawa. Mais depuis, il y a eu un changement démographique assez important, à savoir que dans les autres régions de l’Ontario, la population francophone n’est pas en croissance. Dans le Nord, c’est même en décroissance. Dans le sud, il y a une croissance très importante de cette population francophone. Aujourd’hui, presque le tiers de tous les francophones ontariens se retrouvent dans le sud de la province en fonction de l’immigration, mais aussi de migrations au sein de l’Ontario et même en provenance du Québec. D’ici la fin de la décennie, la moitié des francophones de l’Ontario se retrouvera dans le sud de la province. Le Ministère de la Formation, des Collèges et Universités a développé une nouvelle appréciation de l’importance de la formation en français au niveau postsecondaire. Dans le  Centre Sud-ouest, tout ce qu’il y a à cet égard, c’est Glendon. Dans le Nord, il y a l’Université laurentienne et dans l’Est il y a l’Université d’Ottawa. Alors il y a un débat, mais aussi une communauté francophone mieux structurée qui est consciente de ses besoins pour la formation postsecondaire…

E.-M . : .. et qui les exprime davantage…

K. McR.: Oui, et tout cela est important pour Glendon.

E.-M . : Il y a eu deux rapports récents sur l’offre de programmes postsecondaires en français dans Centre Sud-ouest de l’Ontario. Des évolutions intéressantes semblent se dessiner pour l’avenir de l’enseignement supérieur en français dans cette partie de la province. Quels seraient vos souhaits pour le Collège Glendon dans cet avenir ?

K. McR.:  J’espère que Glendon sera en mesure d’élargir son offre de programmes au premier cycle. En effet, j’espère que Glendon, dans le Sud de l’Ontario, sera le centre de la formation universitaire en français en collaboration avec les deux collèges francophones et avec les universités d’Ottawa et Laurentienne. Nous sommes là depuis presque cinquante ans et il me semble – c’est ce que j’ai dit au gouvernement et à la communauté francophone, il me semble qu’il serait tout-à-fait logique, s’il y a une expansion des possibilités de formation universitaire en français dans le Sud-ouest, que cela se retrouve à Glendon. Je crois que cet argument a un certain poids. Le ministère a établi un plan et débloqué des sommes assez importantes pour élargir la programmation postsecondaire en français. J’espère que nous serons en mesure d’instaurer de nouveaux programmes dans des domaines comme la biologie, la communication, la psychologie, le commerce, soit à peu près le même type de programmes que l’on retrouve en général dans les collèges d’arts libéraux américains ou dans des institutions canadiennes dans l’est comme Mount Allison dans les Maritimes ou Bishop au Québec. C’est faisable, et je pense que c’est la meilleure façon de répondre aux besoins de la communauté francophone.

E.-M . : Une dernière question, si vous le voulez bien. Que voulez-vous dire aux diplômés du Collège au moment de passer le flambeau à un nouveau principal ?

K. McR.: Le Collège Glendon est plus fort que jamais. Je dirais, de plus, que Glendon n’a pas tenté de se réinventer, n’a pas été obligé de se réinventer. Le Collège conserve toujours la même formule et la même mission, et il est fidèle à lui-même. Sa mission est toujours d’offrir une formation en arts libéraux dans les deux langues officielles, une formule qui nous est particulière. C’est une formule qu’il faut conserver pour l’avenir de Glendon. Je dirais aussi qu’au cours des dernières années, il y a eu un certain renforcement de l’autonomie de Glendon dans ses relations avec l’Université York. En principe, Glendon est une faculté, mais c’est une faculté qui se trouve sur un autre campus et en plus, une faculté qui est bilingue. Donc, Glendon a une spécificité importante. C’est de plus en plus reconnu par l’Université York. Il y a deux ans, on a transféré à Glendon la responsabilité des services aux étudiants afin de garantir que les francophones puissent être servis en français. De plus, toute l’Université York se dirige vers un nouveau système de gestion budgétaire par lequel chaque faculté recevra l’ensemble des revenus générés par les inscriptions de ses étudiants. Cela va placer Glendon dans une situation de plus grande autonomie encore. On a renforcé et clarifié la place de Glendon dans l’Université York et il y a une meilleure reconnaissance de la part de l’Université de l’importance de Glendon comme institution bilingue qui doit se différencier de l’Université York.

E.-M . : En effet, c’est également précieux pour York d’avoir en son sein une institution comme Glendon

 K. McR.: Oui, et cette appréciation, c’est nouveau. Le ministère ontarien parle beaucoup de l’importance de la différenciation au sein des établissements universitaires et Glendon est bien différencié. Maintenant, quand on pense aux défis auxquels Glendon est confronté, il y a un mouvement pour une université franco-ontarienne distincte. Je crois que c’est important que Glendon se développe comme le centre pour desservir les besoins de formation postsecondaire des francophones au Centre-Sud de l’Ontario. Il y a un autre défi dans le sens qu’il n’y a pas de présence québécoise à Glendon comme on a eu dans le passé, surtout en raison du gel des droits de scolarité au Québec. Moi, je crois que Glendon a perdu là quelque chose de très important parce que la conception originale du Collège, si on remonte à Scott Reid, est que notre collège ait une vocation nationale. Ça serait donc important d’avoir une présence étudiante québécoise. Chez les professeurs, il y a déjà une présence québécoise très importante. Il y a quinze ans, c’était une de nos grandes priorités de rétablir cette présence québécoise à Glendon. Nous l’avons réussi chez les professeurs, mais ça reste à accomplir chez nos étudiants. Mais voilà certains des nombreux défis que je vais devoir passer à mon successeur…

E.-M . : Monsieur McRoberts, je vous remercie beaucoup de cette entrevue.

 

Propos recueillis et édités par Michel Héroux