Michiel HornMes premiers souvenirs de Glendon remontent à un demi-siècle. C’est en effet il y a cinquante ans ce printemps que j’ai découvert pour la première fois le campus lorsqu’une de mes connaissances, qui enseignait à Glendon, me l’a fait visiter. Je me souviens d’avoir admiré son beau parc et la vue splendide sur la vallée Don. Le campus m’a tout de suite donné l’impression d’être un lieu très agréable.

Au cours des trois années qui ont suivi, je suis retourné plusieurs fois à York. À l’une de ces occasions, au début de 1967, j’ai rencontré le principal Escott Reid pour discuter avec lui d’un sujet concernant ma thèse de doctorat. Curieusement, je n’ai pas fait le lien entre le titre de ses fonctions et le nouveau statut du campus. Bien que j’étudiais à l’Université de Toronto, je n’étais pas au courant que l’Université York, fondée en 1965, s’était installée sur le nouveau campus Keele et que le Collège universitaire Glendon avait été établi en 1966.

Quand j’ai soumis à Edgar McInnis ma candidature pour un poste, à l’automne 1967, je pensais l’avoir adressée au responsable du département d’histoire de York. Quelques semaines plus tard, on m’offrait un poste de professeur d’histoire canadienne au Collège universitaire Glendon. Dans quel collège? Heureusement, la bibliothèque de l’University of California à Berkeley, où je vivais à l’époque, avait une copie du premier annuaire des cours de Glendon. C’est ainsi que j’ai appris que le campus Glendon était maintenant le site d’un collège de l’Université, laquelle avait déménagé aux abords de North York.

Le campus Glendon m’avait plu lors de mes visites, mais je ne savais rien de son nouveau collège universitaire. J’avais peut-être lu quelque chose sur son orientation bilingue, mais cela ne m’avait pas marqué. C’est sans doute aussi parce que M. McInnis ne m’en avait pas parlé. (J’ai appris plus tard qu’il ne l’avait pas mentionné non plus à Irving Abella qui s’est joint au département en même temps que moi.)

À la suite d’un échange de lettres avec le doyen aux affaires étudiantes George Tatham, j’ai été nommé « don » de la résidence Wood. C’est cette responsabilité, plus que ma nomination comme professeur, qui a renforcé mes liens avec Glendon. Je vivais en effet à temps plein sur le campus, ce qui m’a permis de connaître beaucoup mieux les étudiants que la plupart des professeurs.

À la fin des années 60 et au début des années 70, les « dons » étaient des universitaires, des étudiants en droit, des enseignants de l’école secondaire ou de jeunes professionnels qui étaient un peu comme les aînés des étudiants. Parmi eux se trouvaient Roger Gannon, une nouvelle recrue du Département d’anglais, Rick Schultz, un diplômé de York qui s’était joint au département de Science politique et était secrétaire du conseil de la Faculté, Diana Crosbie, une psychologue dans une école secondaire qui allait, peu après, débuter une carrière dans le secteur de l’édition, puis dans les relations publiques, et le jeune avocat Paul Cantor qui m’a initié au squash, un jeu auquel je joue toujours. (Plus tard, il est devenu président du Conseil d’administration de l’Université York.)

Il me serait impossible de dresser la liste de tous les étudiants que j’ai connus à cette époque, mais je me souviens de certains d’entre eux en particulier. Jim Park, président de l’association des étudiants, Glen Williams, étudiant dans mon cours de 4e année, et Bob McGaw étaient actifs au sein du mouvement Liber-Action à l’automne 1968. Parmi les changements apportés par ce mouvement, il faut citer la suppression de la table d’honneur et l’intégration des toilettes (les professeurs et les étudiants utiliseraient dorénavant les mêmes installations). Ses actions à long terme ont notamment conduit à l’augmentation du nombre d’étudiants au sein du conseil de la faculté et à l’établissement de la parité des étudiants dans la plupart des comités du conseil. Liber-Action a aussi fortement appuyé l’organisation en 1969 d’une conférence intitulée « The Year of the Barricade ». Cette conférence portant sur le mouvement étudiant à la fin des années 60 inquiétait le Conseil d’administration, mais il a finalement accepté sa tenue, comme le recommandait Escott Reid.

Un de mes meilleurs souvenirs de cette conférence fut d’être assis à côté d’Escott Reid dans l’ancienne salle à manger, lors du débat sur la récente grève des étudiants à l’Université Simon Fraser. Un des participants était C.B. (Brough) Macpherson, un théoricien politique néo-marxiste qui avait beaucoup œuvré pour le mouvement de gauche. Malgré tout, un diplômé de l’Université Simon Fraser l’a accusé d’être un défenseur des forces sociales capitalistes et réactionnaires. Escott Reid, qui connaissait Brough depuis plus de 30 ans, s’est penché vers moi et m’a chuchoté à l’oreille : « Michiel, pince-moi s’il te plaît. Je veux être sûr de ne pas rêver. »

David Cole était très apprécié des étudiants qui s’intéressaient aux relations Canada-Québec. Après avoir organisé la conférence « Quebec Year Eight » en 1967-1968, il organisa une conférence sur « L’autre solitude » pendant l’été 1970. Originaire de Peterborough, il faisait partie de plusieurs bons étudiants qui venaient de l’extérieur de Toronto. D’Ottawa, nous accueillions aussi plusieurs étudiants engagés en politique, notamment Jan Armstrong, Murray Coolican et Enid Slack. John McNee, originaire de London, ferait une brillante carrière aux Affaires extérieures. Un grand nombre d’étudiants étaient des intellectuels avec qui il était passionnant de discuter.

Un programme d’art dramatique de qualité a fait connaître des acteurs comme Trish (Kate) Nelligan, Charles Northcote et Jack Wetherall. Des journalistes, dont le remarquable reporteur sportif Nick Martin, créateur du « Viet Squirrel » et du « Serpent of the Don », ont fait de Pro Tem un journal divertissant. Je pourrais continuer à nommer des personnes que j’ai connues, mais le lecteur a certainement compris où je veux en venir. Le Collège Glendon était un endroit très dynamique sur les plans intellectuel et culturel.

Certains étudiants étaient déjà bilingues (français/anglais) en arrivant à Glendon ou le devenaient grâce à leurs études souvent complétées par un séjour au Québec ou en France. Mais dans l’ensemble, Glendon était essentiellement anglophone à cette époque. Dans l’une des salles à manger, il y avait une table où l’on parlait français, mais je ne pense pas qu’on y était serré. Les étudiants du Québec comme Chantal Hébert (aujourd’hui chroniqueuse pour le Toronto Star), Renault Marier, Denis Massicotte et Hubert St. Onge semblaient vouloir davantage améliorer leur anglais que parler français.

En fait, la politique de bilinguisme posait un problème à Glendon. Le Collège exigeait que les étudiants anglophones étudient le français à une époque où les universités canadiennes, sous la pression d’étudiants hostiles au concept d’obligations, supprimaient l’exigence d’étudier une deuxième langue. Il était donc difficile de promouvoir les exigences de Glendon en matière d’apprentissage du français. Jusqu’en 1970-1971, Glendon atteignait son objectif d’inscriptions en inscrivant les étudiants que le programme d’Arts ne pouvait pas accepter en raison du nombre de places limitées. Certains de ces étudiants restaient à Glendon, mais la plupart allaient à Keele l’année suivante. En 1970, le programme d’Arts put accueillir tous les étudiants, si bien qu’en 1971, Glendon ouvrit une filière unilingue pour accroître son nombre d’inscriptions. (Celle-ci resta ouverte jusqu’en 1987.)

En ce qui concerne les professeurs et le personnel administratif, la plupart de ceux qui se sont joints à Glendon pendant les six premières années de son existence n’avaient pas les compétences exigées pour fonctionner en français. On manquait de professeurs qualifiés au Canada, car les universités – nouvelles ou anciennes – recrutaient à tour de bras. Les baby- boomers s’inscrivaient en nombre de plus en plus grand dans les universités et il fallait du personnel pour les former. De 1966 à 1971, dernière année de recrutement intensif, il était difficile d’embaucher du personnel qualifié même en excluant les compétences en français. Il devenait donc impossible d’exiger cette compétence, ce qui compromettait la politique de bilinguisme de Glendon. Le règlement selon lequel les nouveaux professeurs et membres du personnel devaient avoir une connaissance fonctionnelle des deux langues est entré en vigueur en 1975, mais à cette époque, Glendon recrutait peu.

À ses débuts, Glendon était un collège d’arts libéraux anglophone, qui accordait une petite place au français. Le bilinguisme actif n’était une réalité que pour une minorité de professeurs et d’étudiants. Pour la majorité, cela restait un vœu pieux. Peu de gens auraient pu prévoir ce que Glendon deviendrait au début du 21e siècle, à savoir un collège bilingue dans les faits.

Cependant, la présence limitée du français ne reflète pas complètement l’image des débuts de Glendon. En effet, les étudiants de la fin des années 60 et du début des années 70 étaient engagés envers un Canada qui accommodait les deux peuples fondateurs et leurs langues. Un grand nombre d’étudiants allaient même plus loin dans leur engagement. La première conférence organisée par les étudiants, à laquelle j’ai assisté à l’automne 1968, était intitulée « Les Canadiens ». Portant principalement sur les peuples autochtones du Canada, elle rassembla un grand nombre de leurs dirigeants sur le campus. Les étudiants de Glendon que j’ai connus avaient généralement une vision inclusive de leur pays. En y repensant, cet aspect, autant que tout le reste, a façonné mes bons souvenirs de ces années.

Par Michiel Horn