Donald IppercielTrois mois, presque jour pour jour après son arrivée, le nouveau principal du Collège universitaire de Glendon, M. Donald Ipperciel, a bien voulu accepter de répondre aux questions du magazine du Collège. Voici l’essentiel de cet échange.

Magazine Glendon (MG) : Vous arrivez à Glendon comme nouveau principal. Pouvez-vous nous rappeler votre formation et votre cheminement de carrière jusqu’à maintenant ‘

Donald Ipperciel (DI) : En fait, un peu à la blague, je dirais que tout a commencé à la maternelle’ Plus sérieusement, j’ai obtenu un baccalauréat et une maîtrise en philosophie à l’Université de Montréal. Puis, je suis allé faire un doctorat en philosophie à l’Université Ruprecht-Karls-Universität de Heidelberg, en Allemagne. Il m’a fallu apprendre le latin, car en Allemagne, il faut un diplôme de latin pour pouvoir faire un doctorat. Par la suite, en 1996, je suis revenu à Montréal et en septembre de cette même année, j’ai eu la chance d’entrer au Campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta. J’y ai franchi les étapes normales : j’ai été chargé de cours et professeur invité ; en 2000, professeur adjoint, en 2004 agrégé et en 2008, j’ai été titularisé. J’ai aussi assumé des fonctions administratives durant ces années. Entre autres, j’ai été directeur de l’Institut d’études canadiennes, vice-doyen à la recherche, vice-doyen aux technologies et l’innovation et aussi codoyen.

M.G. : Quelles ont été et quelles sont vos premières impressions sur le Collège Glendon :

D.I. : J’ai eu la chance d’arriver en juillet. Glendon possède un campus absolument magnifique, notamment en été. D’autre part, la situation de Glendon ressemble un peu à celle du Campus Saint-Jean à Edmonton. Il s’agit d’un petit espace francophone dans un important environnement anglophone. Le Collège universitaire de Glendon est bilingue et francophone, mais les deux tiers de nos étudiants sont anglophones (qu’on appelle aussi des francophiles) et le tiers est francophone. Entre le Campus Saint-Jean, d’où je viens, et le Collège Glendon où j’arrive, je découvre quelques enjeux assez similaires. En une courte phrase, déjà, je me sens comme chez moi, ici.

M.G. : Lors des Retrouvailles 2014 en septembre, au lieu de traiter du thème « Glendon et le monde », vous avez plutôt choisi de revenir sur la mission fondamentale du Collège, sur sa nature de collège d’arts libéraux. Pourquoi avoir décidé d’orienter ainsi vos propos ‘

D.I. : D’abord, je précise que le thème de « Glendon dans le monde » signifiait le monde en général et non pas la mondialisation. Glendon a toujours été un collège d’enseignement en arts libéraux, mais au fil des années, de plus en plus de disciplines dites « professionnelles » ont fait leur entrée chez nous. Il m’est apparu opportun de profiter des Retrouvailles pour poser devant nos diplômés et notre communauté la question fondamentale : qui sommes-nous en 2014 ‘

M.G. Dans votre discours, vous établissez clairement la distinction entre les arts libéraux – destinés à façonner l’esprit – et les compétences plus professionnelles ou techniques : est-ce que l’environnement général de l’enseignement supérieur en 2014 se prête encore à ce genre de distinction ‘ Ne sommes-nous pas plutôt dans un contexte très ou trop ‘utilitariste’ de la mission des universités ‘

D.I. : Le contexte a changé certes. Récemment, j’ai vérifié combien de présidents des grandes universités canadiennes étaient des ingénieurs. Il s’avère qu’il y en a deux fois plus qu’il y a 10 ans. Il y a donc un déplacement vers le professionnel. C’est là une indication de l’orientation que l’on veut donner aux universités aujourd’hui. S’opposer à cela est futile, mais il faut par ailleurs distinguer entre l’utilitarisme à court terme et celui à long terme. Certainement, il est très important de miser sur des compétences techniques. La société a besoin de gens capables de construire des ponts, de programmer des ordinateurs ou de soigner les gens comme il se doit. Mais on a besoin de beaucoup plus que cela. Par exemple, notre président à York est un ingénieur, mais il a embauché comme rédactrice de discours et directrice des communications une personne qui a fait des études en langue anglaise et qui a été rédactrice de discours pour le président de Harvard, de McGill et qui est maintenant chez nous. Elle est le produit d’une formation en arts libéraux. Nul doute que notre président a besoin de cette personne pour communiquer ses messages. On aura toujours besoin de leaders capables de bien communiquer oralement et par écrit, de gens qui auront une vaste culture et une connaissance large du monde qui nous entoure. En fait, si nos leaders d’aujourd’hui n’ont que des compétences techniques, ils ne sont pas vraiment des leaders. Ainsi, quand je parle d’utilitarisme « plus large », il faut comprendre que les arts libéraux sont tout aussi utiles pour la société et donc essentiels pour la formation générale des personnes.

J’ai lu récemment une étude démontrant que des gens ayant étudié dans un domaine de sciences humaines ou sociales (sociologie, anthropologie, etc.), une fois sur le marché du travail, commençaient plus bas dans l’échelle, mais gravissaient les échelons plus rapidement que les autres. Il est clair que ces gens possèdent des compétences en écriture, en pensée critique, etc., qui sont utiles à la direction de l’entreprise. Au bout de cinq ans, ces gens accèdent à des niveaux plus élevés dans les hiérarchies. Il y a donc une réelle utilité à la formation en arts libéraux, c’est clair.

Il n’y a aucun problème à ce que Glendon offre des formations de type professionnel, pourvu qu’on y insuffle l’esprit des arts libéraux. Si on forme une infirmière, par exemple, il faut ajouter à sa formation des éléments de bioéthique. Si on forme un avocat, ajoutons l’art de l’argumentation. Ce sont là des éléments qui vont certainement profiter à nos diplômés durant leurs carrières. À cet égard, j’ai quelques idées que je voudrai mûrir et partager avec mes collègues et plus largement la communauté de Glendon au cours des mois ou des années qui viennent.

M.G. : Votre discours lors des Retrouvailles indique bien votre préoccupation à l’égard du type d’éducation que les étudiants de Glendon doivent recevoir. Concrètement, au cours des prochains mois et des années qui viennent, comment voyez-vous le développement de la formation offerte à Glendon ‘

D.I. : À mon arrivée, j’ai indiqué que j’avais en tête quatre priorités pour Glendon. Ces priorités sont la technologie, la recherche, la francophonie et le marketing et le développement des levées de fonds, cette dernière priorité étant moins directement pertinente pour l’enseignement.

Du côté des technologies, je vais beaucoup miser sur les technologies de l’enseignement. Ce sont des choses que j’ai faites dans le passé au Campus Saint-Jean et que j’aimerais faire profiter à Glendon. Ici, on vient d’embaucher l’un des plus grands spécialistes de Moodle au Canada et je souhaite que Glendon soit à l’avant-garde à cet égard pour attirer ici et mieux servir les étudiants d’aujourd’hui.

En recherche, je demeure convaincu que les meilleurs chercheurs font les meilleurs professeurs. Ces gens-là sont les plus passionnants en classe et leurs enseignements ont une richesse particulière. En fait, même pour les cours de base de 1ière et de 2ième années, il importe de communiquer la passion d’apprendre à nos étudiants et le goût d’aller plus loin, ce pour quoi un chercheur est bien équipé.

Enfin, le Collège universitaire de Glendon devra miser beaucoup sur la francophonie. Je souhaiterais avoir, ici, au moins 50 % d’étudiants francophones (au lieu des 25 à 30 % qu’on a aujourd’hui). Cet équilibre serait profitable pour les deux groupes linguistiques sur notre campus. Cet objectif va requérir du travail à l’interne, mais aussi à l’externe auprès des groupes et institutions de la francophonie ontarienne.

M.G. : Pour terminer, parlez-moi du caractère bilingue de Glendon, de l’importance de cette qualité propre à Glendon.

D.I. : La première chose à laquelle les gens pensent quand on parle de bilinguisme, c’est son utilité pour le marché du travail ou encore chez les enfants, pour le développement cognitif. Pour moi ce n’est pas là le plus important. C’est un point de vue plutôt utilitariste. C’est le bilinguisme perçu en termes de question identitaire qui devient plus intéressant. Le bilinguisme fait partie du tissu identitaire canadien. C’est vrai aussi au Québec même si certains Québécois ne sont pas d’accord, mais en Ontario, c’est encore plus vrai. Ici à Toronto, on constate une forte croissance d’une francophonie multiculturelle et éclectique en termes identitaires. À cela s’ajoute le fait qu’il y a encore une croissance du milieu immersif au Canada. Le nombre d’enfants inscrits en classes d’immersion augmente à chaque année et cela, c’est une clientèle pour nous. De plus, Glendon est aussi le reflet de l’importance du bilinguisme dans le sud-ouest de l’Ontario. Nous sommes la seule institution capable d’enseigner dans les deux langues dans cette partie de la province. D’ailleurs, on a soumis récemment une demande de désignation partielle selon la Loi sur les langues officielles, ce qui devrait nous attirer une certaine reconnaissance. Tous nos professeurs permanents sont capables d’enseigner dans les deux langues, et nos programmes d’étude sont offerts en français et en anglais. De plus, tout le personnel de Glendon est bilingue, même que 58 % du personnel est francophone.

Il y a donc là un élément de tradition, mais aussi un révélateur du rôle important que le Collège universitaire de Glendon peut jouer au Canada en termes de culture et d’identité.

M. G. : Merci.

Moodle est une plateforme d’apprentissage en ligne. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Moodle

Propos recueillis et édités par Michel Héroux