Jacques GauthierIl n’est pas vraiment nécessaire de parler longtemps avec Me Jacques Gauthier pour réaliser à quel point cet avocat francophone de Toronto est un passionné du droit’ et des droits. Et il ne faut pas se surprendre que lors d’une présentation dans le cadre des conférences des études internationales Jean Gabriel Castel devant les étudiants du premier cycle du Collège universitaire Glendon le 9 avril dernier, Jacques Gauthier ait su communiquer cette passion qui l’anime en traitant de « droit international et la problématique de la souveraineté de Jérusalem ».

Jacques Gauthier est né à Montréal, mais alors qu’il n’avait que deux ans, son père, un cadre de haut niveau à la Trans Canada Airlines, ancêtre d’Air Canada, fut muté à Paris. Jacques Gauthier y passera les dix années suivantes de sa vie, et il y recevra son éducation primaire. Après ces dix années parisiennes, toute la famille revient à Ottawa. Jacques Gauthier y poursuivra ses études aux universités Carleton et d’Ottawa.

En raison du curriculum suivi à Paris, Jacques Gauthier a terminé ses études de droit à l’âge de 21 ans, et il considérait être un peu jeune pour entreprendre une carrière d’avocat. Il décide alors de faire des études de droit international public à Genève. Il accomplit toutes les études et affronte toutes exigences d’un doctorat ès sciences politiques (droit international public). Selon ses propres termes, il a « tout fait, sauf rédiger la thèse ». Il a obtenu une note parfaite suite à des examens oraux sur l’ensemble droit international public. Auprès de ses professeurs de Genève qui auraient bien voulu qu’il demeure dans la ville suisse, Jacques Gauthier prend l’engagement de rédiger plus tard sa thèse de doctorat, promesse qui lui sera périodiquement rappelée par son épouse’ Il poursuit ensuite des études à l’Académie internationale de La Haye.

 

Début de carrière à Toronto

De retour au Canada et admis au Barreau de l’Ontario en 1976, il s’établit à Toronto et entreprend sa carrière d’avocat. Me Gauthier voulait travailler à la fois dans le domaine international et en français. Professionnellement, il pratique dans différents domaines tels le droit international public et commercial, le droit des sociétés, le droit commercial, le droit des successions, le droit de l’immigration, les droits de la personne et les droits linguistiques. Me Gauthier, au cours de sa carrière, représente plusieurs pays au Canada, dont le Mexique, l’Espagne et la France, entre autres. Au plan linguistique. Jacques Gauthier découvre qu’il n’y a pas beaucoup d’outils pour travailler comme avocat en français à Toronto.

Afin de corriger cette situation, il participe activement à la création de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO); il préside la section de Toronto de l’AJEFO de 1982 à 1986. Il crée aussi le Comité des langues officielles de la section Ontario de l’Association du Barreau canadien (ABCO). Chaque année, cette association offre de la formation aux juristes de partout au pays, mais cette formation de quelques jours ne se faisait, à l’époque, qu’en anglais. Jacques Gauthier met alors sur pied l’Institut qui permet que cette formation de l’ABCO soit également disponible en français. En 1995, suite à un mandat de la République française et pour répondre à des besoins criants, il fonde le Lycée français de Toronto qui accueille aujourd’hui plus de 500 étudiants. À noter qu’en 2000, il a été fait chevalier de l’Ordre du Mérite par la République française.

Son engagement envers la langue française en Ontario ne lui fait pas oublier sa carrière d’avocat, bien au contraire. Ainsi, il est co-fondateur en 1978 de la Canadian Foundation of Children, Youth and Law (Justice for Children); de 1979 à 1981, il coordonne la version française de la collection « La loi pour tous », une publication de 16 manuels et guides pour étudiants et enseignants au sujet du droit canadien et ontarien. Plus tard, il sera vice-président, et durant huit mois, président par intérim du Conseil d’administration de Droits et Démocratie, un organisme non partisan investi d’un mandat international qui a été créé en 1988 par le Parlement canadien pour encourager et appuyer les valeurs universelles des droits humains et promouvoir les institutions et pratiques démocratiques partout dans le monde. Il en fut aussi en président-directeur général par intérim pendant plusieurs mois.

Le doctorat sur Jérusalem

Dans ce tourbillon d’activités et d’engagements, Jacques Gauthier n’oublie pas son engagement à rédiger, un jour, sa thèse de doctorat. Nous sommes au milieu des années 1980. Me Gauthier ne voulait pas faire une thèse pour simplement faire une thèse, sur un sujet quelconque. Il recherchait plutôt un sujet de thèse qui puisse être une contribution utile et positive, qui soit un sujet « noble », pour reprendre son expression.

Or, suite à quelques voyages en Israël et à Jérusalem, comme tout le monde, il se pose des questions sur les aspects politiques et surtout juridiques du conflit entre Israël et ses voisins arabes, plus particulièrement sur les réclamations des Juifs et des Palestiniens sur le territoire d’Israël en général et sur la ville emblématique par excellence qu’est Jérusalem. En cherchant des réponses à ces questions, Jacques Gauthier découvre que rien n’est vraiment clair dans les assises des réclamations qu’il entend. Il en arrive à la conclusion qu’il faut étudier les fondements historiques et juridiques de la souveraineté sur Jérusalem.  Pour lui, il ne peut y avoir de solution au problème israélo-palestinien sans une connaissance claire des faits, sans une meilleure compréhension des aspects historiques, religieux, politiques et juridiques de Jérusalem, plus précisément de ce qu’on appelle « l’ancienne ville » (The Old City) de Jérusalem.

Il entreprend donc son travail de recherche sur cette question. « Avoir su à l’avance que j’entreprenais une tâche qui durerait vingt ans, je ne pense pas que je m’y serais engagé’ », avoue-t-il aujourd’hui avec une certaine candeur. L’étude sur la souveraineté sur Jérusalem, ou, dit autrement, « à qui appartient Jérusalem », est une question large, profonde et compliquée. Son travail, qui se traduit par un fort document de 1 300 pages, lui vaudra un doctorat en droit international (2007) de l’Institut de hautes études internationales de l’Université de Genève.

Sa thèse retrace les origines historiques de l’idée de l’état juif, à partir de la thèse en 1896 de Theodore Herzl, de la Conférence de Bâle de 1897 et des promesses faites aux Arabes par les Britanniques en 1915. À cela, il faut ajouter les accords secrets de Sykes-Picot de 1916, la déclaration de Balfour de 1917, la Conférence de paix de Paris de 1919, les présentations des Arabes et des Juifs de février de 1919 au Quai d’Orsay à Paris et la Conférence du Caire de 1921. À ces éléments importants, il faut aussi ajouter la Conférence de San Remo de 1922 qui énonce les fondements juridiques de l’état juif, et aboutit à trois  traités, soit le Mandat sur la Palestine et le Mandat sur la Mésopotamie, confiés aux Britanniques, et le Mandat sur la Syrie et le Liban confié à la France. Le Mandat sur la Palestine énonce et donne des droits aux Juifs et aux Arabes.

À ces faits juridiques et historiques s’ajoutent le Livre blanc britannique de 1939 et la création d’Israël en 1948 par l’ONU, l’organisation internationale qui a hérité des droits et responsabilités de la Société des Nations. Selon Me Gauthier, les revendications de l’état juif, d’Israël, sur la vieille ville de Jérusalem sont fondées historiquement et en droit, et au plan légal, rien n’est venu altérer les droits d’Israël sur cette ville au cours des décennies écoulées. D’ailleurs, précise-t-il, les droits donnés aux Juifs sont protégés dans l’article 80 de la Charte des Nations-Unies. Cela dit, Me Gauthier ne veut pas jouer à la naïveté. « Il est clair que la seule connaissance des faits juridiques et historiques ne régleront pas à eux seuls les problèmes de cette partie du monde; les enjeux sont aussi éminemment politiques. Mais la connaissance la plus claire possible des faits juridiques peut contribuer à éclairer les enjeux et à contribuer à leur solution », précise-t-il.

Cette thèse et ses conclusions lui ont valu d’être taxé d’être pro-israélien. Mais il n’en est rien. « Je ne suis pas juif ; je suis un chrétien », répond-il à ceux qui lui attribuent un biais. Il ajoute : « Durant toute ma carrière, je me suis préoccupé de droits humains autres que de ceux des Juifs. Qu’il s’agisse des droits des enfants, des Franco-ontariens, des droits de la personne en Chine, j’ai toujours été passionné par le droit et par les droits des personnes.»

Me Jacques Gauthier poursuit toujours sa carrière d’avocat, attentif à son milieu et au monde, attentif à l’état et au respect des droits des personnes où qu’elles soient, sur notre planète. C’est ce qu’il a su communiquer avec chaleur et talent, en avril dernier, aux étudiants du Collège universitaire Glendon.

 Par Michel Héroux