Dans le cadre du premier Festival de la recherche du Collège Glendon, un colloque bilingue traitant de la mobilisation étudiante au Québec a eu lieu le 8 novembre dernier. Organisée par le professeur Francis Garon et le Centre des défis mondiaux, cette table ronde a réuni six conférenciers qui ont analysé la crise étudiante québécoise, et à comprendre l’absence de mobilisation étudiante en Ontario.

Les origines de la crise

Rappelant que le déclencheur de la grève étudiante du printemps 2012 au Québec a été l’annonce de la hausse des droits de scolarité universitaires, Professeur Garon a indiqué d’entrée de jeu que la rencontre avait pour but de connaître les enjeux de ce conflit pour l’Ontario et le reste du Canada, de proposer des éléments de comparaison entre le Québec et l’Ontario notamment à propos des droits de scolarité et de l’accessibilité aux études supérieures.

Un premier panel, constitué de David Macdonald, économiste sénior au Centre canadien pour les politiques alternatives, et du professeur Ross Finnie, a fait le point sur l’évolution des droits de scolarité.  Il a précisé que le Québec demeure la province où l’université est la plus accessible, ce qui était l’argument de Jean Charest. Quant aux étudiants québécois en grève, ils ne se comparaient pas aux étudiants des autres provinces; ils  préféraient se comparer à l’OCDE, dont 11 des 27 pays n’ont pas de droits de scolarité. Si le Canada se classe près des endroits les plus dispendieux en matière de droits, le Québec se situe près de la médiane des droits dans les pays de l’OCDE, ce qui a été un argument de mobilisation étudiante, et qui pourrait l’être aussi en Ontario.

Le second paneliste, Ross Finnie, professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, a clairement indiqué que ce ne sont pas les droits de scolarité qui déterminent l’accessibilité aux études supérieures, mais bien les facteurs culturels. Pour Ross Finnie, fréquenter l’université, ce n’est pas d’abord une question d’argent, mais de culture, c’est-à-dire de perception de la valeur de l’enseignement supérieur. C’est là la première barrière à l’éducation universitaire. De plus, à son avis, des droits de scolarité bas constituent un transfert fiscal régressif vers familles les plus aisées, et des droits de scolarité bas mènent à une université médiocre. Enfin, il a rappelé que toutes les études révèlent que les provinces avec les droits de scolarité les plus bas sont aussi celles où la participation aux études universitaires est la plus faible. Il s’est aussi étonné du fait que les femmes, en Ontario, ont un taux supérieur aux femmes québécoises pour la fréquentation universitaires, et de deux fois plus élevé que le taux des hommes québécois.

Le deuxième panel portait sur la gouvernance et la mobilisation. Premier à intervenir, le professeur Éric Montpetit, directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal, a remis en question certaines idées reçues qui ont largement circulé tout au long du conflit du printemps dernier au Québec. Pour lui, c’est faux de dire qu’être favorable à la hausse des droits de scolarité, c’est être de droite. Pour Éric Montpetit, la politique de Jean Charest en matière de droits de scolarité était une mesure sociale-démocrate « de gauche ». Mais la crise étudiante a été marquée par une grande pauvreté de débat. Une vraie politique de droite aurait été, par exemple, la dérèglementation des droits de scolarité ou encore une hausse à outrance. La hausse annoncée était « raisonnable » et de nature à assurer une formation de qualité dans les universités. Enfin, le Québec ne devrait pas chercher à imiter plusieurs pays de l’OCDE dont la qualité de la formation universitaire laisse sérieusement à désirer. Si la Suisse a un excellent système universitaire moins cher pour les droits, ce système est néanmoins  très sélectif. Le Québec a beaucoup de raison de maintenir son système universitaire actuel.

Autre idée reçue : le succès du mouvement a reposé sur une jeunesse « brillante ». Il y a eu des leaders exceptionnels certes, mais le 22 mars 2012, il faisait 28 degrés à Montréal, ce qui a facilité la grève et a fait décoller le mouvement, qui a été un phénomène surtout montréalais. La position des étudiants a été une position individualiste (refus de payer). Le refus d’accepter le concept du sous-financement universitaire est une position de droite et individualiste. Autre idée reçue, le gouvernement Charest a fait preuve de rigidité avec les étudiants. Pour Éric Montpetit, cela est faux, même si le gouvernement a trop tardé à s’asseoir avec les étudiants. Non seulement le gouvernement l’a-t-il fait, mais il a fait des concessions importantes, alors que les étudiants n’en ont fait aucune.

De son côté, Pascale Dufour, professeure agrégée au Département de science politique, Université de Montréal, a réfléchi sur la mise en opposition de la démocratie de la rue à la démocratie élective, et elle a rappelé la chronologie des événements, de novembre 2011 jusqu’en juin dernier. Selon elle, les manifestants sont aussi des votants et la majorité des manifestants dans les démocraties sont des « super-citoyens ». Elle a également souligné le fait que les actions contestataires ne sont pas l’apanage de la jeunesse. Depuis 20 ans, il a eu un accroissement du registre d’actions contestataires. La grève du printemps dernier au Québec, a-t-elle rappelé, a surtout été l’affaire d’étudiants francophones; ce qui a nourri également le mouvement, ce fut la volonté de casser la routine d’un gouvernement au pouvoir depuis 2003.

Dernière intervenante, la professeure de York  Miriam Smith s’est demandée pourquoi ce mouvement contestataire québécois ne s’est pas répandu en Ontario, la province voisine. À son avis, le type de citoyenneté ontarienne est très différent de celui du Québec, et ces différences favorisent davantage de néolibéralisme en Ontario qu’au Québec. Les citoyens participent à des mouvements sociaux parce qu’ils sont touchés. On ne peut dire que le manque de mobilisation étudiante en Ontario provient du manque de griefs. Après tout, 50% des Ontariens croient que les frais de scolarité sont trop hauts dans la province, et un Ontarien sur trois était sympathique à la mobilisation étudiante québécoise. Mais il y a eu une campagne pour délégitimer les mouvements sociopolitiques en Ontario, surtout depuis le gouvernement Harris. De plus, le rôle socioculturel de création et de conservation de la connaissance des universités ontarienne est occulté : il n’y en a que pour le discours économique, ce qui fait qu’il est très difficile pour un étudiant de penser à l’université autrement que pour ses fins individuelles. Selon la professeure Smith, on ne semble plus croire que l’enseignement supérieur est un investissement sociétal. C’est tout cela qui explique, fondamentalement, le manque de mobilisation étudiante en Ontario en 2012.

La discussion qui a suivi ces deux panels a mis en relief d’autres facteurs tels le cynisme à l’égard de la classe politique dans un contexte d’allégations de corruption, de gaspillage d’argent public. Tout cela a aussi contribué à une partie du succès du mouvement du printemps. En outre, selon les participants, ce n’était probablement pas une bonne idée pour le gouvernement Charest d’annoncer une politique controversée à la fin d’un troisième mandat, alors que plus personne ne faisait confiance à ce gouvernement. Bref, comme l’a souligné Pascale Dufour, cette crise sociale aura un effet générationnel sur la conscientisation aux enjeux du débat public, car le débat public du printemps dernier ne fut pas anodin.

En conclusion, le directeur du département de sciences politiques de Glendon, Ian Roberge, a rappelé que le Québec a vécu le printemps dernier un débat de politique publique plus large que la seule question des droits de scolarité. Tout a été mis sur la table, en quelque sorte : la qualité de l’Université, sa finalité, le taux de participation des jeunes, etc. On a donc parlé de valeurs bien différentes du seul argent. Et, de conclure le professeur Roberge, « grâce à ce colloque, nous pouvons mieux comprendre ce qui se passe dans la province voisine, ce qui nous permettra de meilleurs échanges autour de nous sur ces questions importantes. »

 

Par Michel Héroux