Dans le cadre des activités de la Chaire Jean-Monnet du Collège Glendon dirigée par le professeur Willem Maas, la professeure Michelle Cini, qui enseigne la science politique à la Bristol University rendait visite aux étudiants et étudiantes du Collège à la fin du mois de septembre. La professeure Michelle Cini, coéditrice du Journal of Common Market Studies et du  Oxford University textbook European Union Politics, a présenté « La Grande-Bretagne et l’Union européenne: eurosceptique ou européanisée ? » Pour illustrer l’ambivalence de plus d’un demi-siècle de l’attitude de l’Angleterre face à ses voisins d’outre Manche, la professeure Cini a d’abord appelé l’histoire pas toujours sereine des relations des deux entités politiques depuis la Seconde Guerre Mondiale.

La Grande-Bretagne a toujours été un « partenaire encombrant » ou boiteux de l’Europe, pour reprendre l’expression de Mme Cini (‘awkward partner’). Le débat public dans les médias et dans l’opinion publique n’a jamais cessé depuis la décision de la Grande-Bretagne, d’abord, de ne pas adhérer à l’Union européenne (UE) dans les années 1950, puis de son changement d’attitude au début des années 1960, alors que cette fois, c’est l’Europe qui, sous l’influence de de Gaulle, rejetait par deux fois la demande d’adhésion de la Grande-Bretagne en 1963 et en 1967. Enfin, tardivement, l’Angleterre a joint les rangs de la Communauté européenne à la suite des négociations du premier ministre Edward Heath en 1973, lesquelles furent suivies d’un référendum britannique positif à 66% en faveur de l’adhésion à ce qui s’appelait à l’époque le Marché commun. Cette adhésion est demeurée fragile depuis.

Pour des raisons géographiques (la mentalité insulaire des Anglais), géopolitiques (l’atlantisme et les relations spéciales avec les États-Unis et le Commonwealth britannique), en raison aussi du pragmatisme anglais, des partis politiques britanniques plus enclins aux consensus politiques, le travail pour assurer le succès de la présence du Royaume-Uni au sein de l’UE demeure difficile. La foi européenne n’est pas au rendez-vous chez les Anglais.

Aujourd’hui, des positions opposées se font jour autant à Westminster que dans les médias. Encore récemment, des rébellions d’arrière-ban contre la présence de l’Angleterre dans l’UE ont lieu, rébellions encouragées par la persistante crise de l’Euro, même si l’Angleterre a choisi de ne pas faire partie de cette zone monétaire à l’instar d’une dizaine d’autres pays du continent, dont la Suède et le Danemark. Bref, « l’euroscepticisme » demeure très vivant au le Royaume-Uni, encouragé par des médias importants tels le Times, le Telegraph, le Sun, le Daily Mail et le Daily Mirror. Ce n’est pas rien !

Dans cette situation, il ne faut pas s’étonner que l’opinion publique anglaise continue de s’opposer à « l’européanisation » du pays, et que se développe une certaine hostilité à l’endroit du projet européen lui-même. L’idée de négocier à nouveau l’adhésion du Royaume-Uni à l’Europe pour obtenir des conditions plus acceptables aux Britanniques fait de plus en plus de chemin, tout comme celle de la quitter.

Plus d’une centaine de députés conservateurs se sont inscrits en faveur de cette renégociation, et certains voudraient carrément négocier le retrait pur et simple du pays de l’UE. À cet égard, il est révélateur de consulter le site Internet de jeunes conservateurs FRESH START qui veulent, entre autres demandes, récupérer certains des pouvoirs nationaux cédés à l’UE dans le passé. Une campagne active est en marche pour que l’Angleterre se retire de l’UE, ce qui crée des tensions très vives au sein  du parti du premier ministre David Cameron.

En somme, au fil des décennies, il y a eu une certaine européanisation de l’Angleterre. L’Europe a eu un effet sur la façon d’être et de fonctionner du Royaume-Uni, mais cela n’a pas entraîné un changement d’attitude des Anglais envers l’UE. L’euroscepticisme chez les Britanniques a toujours été présent et il semble en croissance. Les sondages indiquent une opinion publique sévèrement divisée sur la présence de l’Angleterre au sein de l’UE. Les Anglais, disent ces coups de sonde, ne veulent pas que l’Europe « leur dise quoi faire »; ils tiennent à leur souveraineté nationale; ils croient que l’Europe « coûte trop cher » à l’Angleterre alors que l’argent manque pour l’éducation, la relance économique et d’autres besoins pressant au pays.

Pour la professeure Cini, cette situation d’une grande fragilité politique ne se dénouera pas en quelques semaines ou quelques mois. Elle demeure porteuse, à terme, de profonds changements dans les relations entre le Royaume-Uni et ses voisins du continent européen, changements dont il ne faudrait pas exclure une sortie pure et simple de l’Union.

Cette conférence a été très appréciée de la part des participants, car elle venait jeter un éclairage unique sur une situation politique internationale délicate dont l’évolution n’est pas étrangère aux intérêts du Canada.

 

Par Michel Héroux