ÉTATS-UNIS ET CANADA : UNE RELATION MOINS EXCLUSIVE

Le 7 mars dernier, le chroniqueur politique québécois bien connu John Parisella rencontrait les étudiants de l’École des affaires publiques et internationales du Collège universitaire Glendon. À l’invitation du directeur du programme de maîtrise de l’École, Michael Barutciski, M. Parisella est venu exposer sa vision de la réélection du président Barak Obama et des défis que cette réélection suscite pour la relation États-Unis /Canada.

John Parisella fut délégué général du Québec à New York de 2009 à 2012, et auparavant, conseiller de Robert Bourassa quand ce dernier fut premier ministre entre 1985 et 1993. Dans son magistral exposé, il a rappelé aux étudiants de Glendon que la politique présidentielle américaine s’exerce toujours dans un contexte précis. Ainsi, avant le président Franklin Delano Roosevelt, personne n’avait fait plus de huit ans, soit deux mandats, à la présidence américaine. Après son décès, un amendement constitutionnel limitant la présidence à deux mandats fut adopté. Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis étaient devenus la plus importante puissance au monde, mais avec l’émergence de l’URSS commença la Guerre froide. De 1945 à 1980, les Américains ont aussi vécu une époque de libéralisme social.

Dans ce contexte, Nixon et Eisenhower, des Républicains, furent des conservateurs centristes. Des années 1980 jusqu’à l’élection d’Obama, les États-Unis ont vécu une période de conservatisme. Clinton, tout démocrate qu’il ait été, fut un centriste, et Obama est encore plus centriste. Les États-Unis étaient un pays bipartisan où les deux grands partis présents au Congrès pouvaient travailler ensemble. Mais une polarisation politique grandissante a pris racine aux États-Unis dans les années 1980 et 1990. Les Républicains glissèrent plus à droite, et les Démocrates dits « de droite » sont devenus des républicains.

L’ARRIVÉE AU POUVOIR D’OBAMA

L’arrivée au pouvoir d’Obama en 2008 fut un moment rafraîchissant pour les Américains : le premier américain noir à la Maison Blanche. Bien des barrières sont alors tombées. Barak Obama également est le premier président américain depuis Eisenhower à avoir obtenu plus de 50 % des votes en 2008 et en 2012.

Au cours de son premier mandat, les observateurs croyaient que le président transformerait le pays plutôt que d’être seulement un président de type transactionnel. Mais John Parisella croît que l’histoire reconnaîtra que le président Obama a profondément transformé son pays. Il a eu à gérer la dépression certes, mais 40 millions d’Américains auront accès aux soins médicaux d’ici 2014. Le « Obamacare » va être tout aussi transformationnel d’ici 20 ans. De plus, jamais depuis des décennies les États-Unis ont si peu été dépendants du pétrole étranger. Sous Obama, les États-Unis ont abattu Ben Laden et décimé Al Qaeda. Ils se sont retirés de l’Irak (en mode de combat), ils ont réduit leurs troupes en Afghanistan et s’apprêtent à en sortir. Il y a eu aussi la chute de Kadhafi et de la Lybie, réalisée en bonne partie par du support aérien plutôt que par une intervention militaire au sol, et plusieurs dictateurs sont disparus. Pour John Parisella, tout cela constitue une nouvelle façon de mener une politique étrangère, une façon que les Américains préfèrent aux bottes sur le sol.

L’administration Obama a promis de doubler ses exportations d’ici 2015, ce qui aura un impact sur le Canada. L’indépendance énergétique (grâce aux gaz et pétrole de schistes) garantit aux États-Unis une sécurité énergétique et une indépendance qu’ils ne pensaient jamais pouvoir obtenir.  Cela a des ramifications sur le projet de l’oléoduc Keystone qui sera ou non accepté.

LE DEUXIÈME MANDAT D’OBAMA

Selon John Parisella, la victoire d’Obama en 2012 fut une grosse victoire.  Le président s’est retrouvé avec une nouvelle coalition croissante. Plus d’un million de jeunes Américains de plus qu’en 2008 ont voté avec des électeurs urbains, des mères célibataires, des membres de minorités et plus de 73 % des Hispano-américains ont voté.

Cela dit, où vont les États-Unis maintenant ? Pour John Parisella, ce ne sera pas moins polarisé, car les Républicains n’ont pas changé leur discours. Mais ce qui a changé, ce sont la situation économique encore fragile; la situation fiscale difficile; la tragédie de Newton; l’immigration où il faudra faire quelque chose; l’Iran et le Moyen-Orient qui demeurent un baril de poudre;  la Syrie qui ne sait pas où elle va, et Obama ne voudra pas être le président qui a laissé l’Iran se doter de l’arme nucléaire. De plus, deux femmes ont été nommées à la Cour suprême, ce qui va en changer la dynamique

ET POUR LE CANADA…

Selon John  Parisella, l’Amérique a changé et change sous Obama, mais la portée de ces changements ne se fera pas sentir avant cinq à dix ans. L’Amérique change, et le Canada change beaucoup. Il est clair que sur le plan économique, les États-Unis sont en train de chercher de nouveaux marchés. Pour John Parisella, si nous ne faisons pas la même chose, notre économie va souffrir. Notre libre-échange avec les États-Unis est resté assez stable depuis 10 ans.  Pour expliquer cela, on a invoqué la force du dollar américain, le drame du 11 septembre, ou la frontière plus étanche entre nos deux pays. Il y a un peu de tout cela, mais c’est aussi parce que nous sommes tous en train de chercher de nouveaux marchés.  Les économies émergentes comme l’Inde et la Chine vont dépasser les États-Unis dans cinq ans. Ce sont des marchés fertiles pour l’avenir.

Le Canada ne peut pas rester indifférent quand on parle des marchés économiques parce que les Américains ne sont pas indifférents. Le fait que les États-Unis se dirigent vers l’indépendance énergétique est aussi une nouvelle importante pour le Canada. Vont-ils adopter le Keystone ou non ? Cela dit, ça se peut que le projet d’oléoduc Keystone ne se réalise pas et l’alternative pour le pétrole des sables bitumineux n’est pas évidente.  Northern Gateway va être plus compliqué que Keystone Pipeline. Or, si le Canada ne peut vendre son énergie ou la rendre vers nos marchés, l’Alberta ne sera pas aussi riche. Et si l’Alberta n’est pas aussi riche, le reste du pays en souffrira. Il y a donc de grands défis pour nous, dont le défi d’importer au Québec le pétrole des gaz bitumineux dans les oléoducs plutôt que d’en acheter d’ailleurs.

Qu’on le veuille ou non, ce qui se passe aux États-Unis avec leur indépendance énergétique grandissante  a des implications importantes pour notre relation commune.  Notre prospérité et notre progrès économique dépendent beaucoup de notre proximité avec les États-Unis.  C’est faux de prétendre que l’économie américaine n’a pas un impact sur nous. Si Sequester amène les Américains dans une autre récession, Parisella prédit que nous en aurons une.  C’est vrai qu’en 2007-2008, la dernière récession ne nous a pas frappés autant que les États-Unis. Mais la raison pour laquelle on a si bien passé au travers, de dire le conférencier, c’est que notre économie est basée sur les richesses naturelles dont les gens ont besoin et qu’on exporte. Donc, ce qui se passe aux États-Unis a un effet direct sur nous. Dans notre débat interne canadien, cela aussi a un impact.

Pour Parisella,  ce qui est arrivé le 11 septembre 2001 est probablement l’événement le plus important de l’histoire récente à s’être passé sur la planète, autant que l’épreuve de force entre les États-Unis et l’URSS lors de la crise des missiles à Cuba en 1962. Cet événement a marqué la relation américano-soviétique durant au moins 25 ans pendant la Guerre froide. Nous sommes venus à ce moment-là très près d’une guerre nucléaire et à partir de là, il est clair que personne ne voulait aller jusque-là.  Ce qui s’est passé le 11 septembre et avec la révolution technologique veut dire qu’on ne pourra pas trouver les mêmes solutions.

Écoutons John Parisella: « Parfois j’écoute les politiciens dans ma province, et j’ai l’impression de réentendre les débats des années 1970 : or, on n’est plus là. Si l’Amérique change, le Canada change, le Québec change. Cela va vouloir dire qu’il va falloir, comme classe politique, comme société civile qu’on fasse les débats et qu’on regarde les nouvelles façons de faire les choses.»

En conclusion, John Parisella a dit ne pas croire qu’Obama nous pousse dans une nouvelle ère de libéralisme ou qu’il amorce la fin du conservatisme. Et il a ajouté : «Je pense qu’au fond, il pointe dans une direction que quelqu’un éventuellement va définir. Je ne pense pas que les définitions idéologiques du passé sont valables pour l’avenir. Je crois que le continuum gauche-droite devient de moins en moins pertinent, surtout si vous le comprenez à partir de l’époque de la Guerre froide ou encore des années 1970 ou 1980.»

Pour John Parisella, les États-Unis et le Canada vont demeurer les plus grands partenaires commerciaux du monde, mais cette relation ne sera plus aussi exclusive que dans le passé. Ce fut un exposé magistral, très apprécié des étudiants et des professeurs présents.

 

Par Michel Héroux