Lors de son passage au Collège Glendon, John Parisella a accepté de donner une entrevue à Marie-Thérèse Chaput, directrice du Bureau de l’avancement, des diplômés et des relations extérieures. Voici quelques extraits de cette entrevue.


Marie-Thérèse Chaput: Quand on parle des étudiants, quelle différence voyez-vous entre ceux d’aujourd’hui, spécialement ceux du niveau de la maîtrise, avec ceux d’il y a 10, 20 ou même 30 ans ?

John Parisella :  Je suis de ceux qui ont une grande confiance dans la jeunesse d’aujourd’hui. Quand je fus professeur au secondaire, j’avais des jeunes de 15 ou 16 ans, il y avait la télévision mais rien d’autre. On a vécu depuis 10 ou 15 ans une révolution technologique non seulement dans l’Internet, le Web, mais aussi avec les médias sociaux et des équipements qui touchent la façon dont les gens s’informent. On a demandé à un groupe d’étudiants combien de personnes obtenaient leurs nouvelles par la presse écrite et par la télévision. Pour la majorité, c’était par les appareils qu’ils tenaient dans leurs mains. Seulement deux sur 25 ont dit obtenir leur information du journal.  Les jeunes aujourd’hui sont probablement plus ouverts et plus éveillés à ce qui se passe sur la planète que c’était le cas dans notre temps. C’est positif. La montée du nationalisme est probablement une chose du passé et l’ouverture au pluralisme devient un facteur de plus en plus essentiel dans plusieurs pays. Le Canada et le Québec sont en train de vivre une ouverture à différents groupes dans la société, à des gens qui viennent d’ailleurs, de différents pays sur la planète, ce qui est vraiment très encourageant pour l’avenir.

MTC : Étant donnée la possibilité pour les jeunes d’avoir cet accès immédiat à l’information, est-ce que ça vous oblige plus à être dans le moment, dans le présent dans tout ce que vous présentez ?

JP : J’utilise les médias sociaux pour comprendre l’univers des jeunes, l’importance de la circulation rapide de certaines nouvelles qui, parfois, ne sont pas toujours bien vérifiées. C’est important de savoir ce qui alimente les pensées ou les gestes des jeunes. C’est clair que le grand défi pour l’avenir, c’est qu’une réflexion s’impose sur le fonctionnement des nouveaux médias, même au niveau des dirigeants de certains pays ou des d’entreprises. C’est une nouvelle génération qui est aux postes de commande, et qui est un peu perdue sur la façon de savoir comment corriger les choses. Il y a présentement une commission d’enquête qui existe au Québec; je vois des journalistes qui « tweetent » durant le témoignage d’un témoin. Ils portent des jugements sur un témoignage. Je prends le journal la Presse qui a toujours été ma référence.  Ma conjointe me demande un matin : qu’est-ce qu’il y a dans les nouvelles aujourd’hui. Je lui réponds : deux choses : enquête et humeur. On a du reportage d’enquête et pas seulement d’information, et on a l’humeur des chroniqueurs plutôt que l’analyse des éditorialistes. L’éditorialiste, c’est une voix en 750 mots parmi quatre articles de chroniqueurs qui sont tous de mauvaise humeur au sujet de quelque chose. La chronique occupe toute la largeur de la page, pendant que l’éditorial est dans un coin. Comment dire alors qu’on a un journalisme qui évolue avec les nouveaux défis ? Non, il n’évolue pas et il va falloir qu’il y ait une prise de conscience. C’est là qu’elles ont un rôle à jouer. Elles doivent initier cette prise de conscience.  On est obligé de faire cela, on n’a pas le choix parce que la technologie a devancé en si peu de temps la façon de faire des institutions. On a un travail à faire et la seule place où on peut faire cela, c’est le milieu universitaire ! Le reste, ce sont des groupes corporatifs et ils font des « self serving colloquia« …

MTC:  Auparavant, nous avions des émissions d’information politique, maintenant nous avons davantage d’émissions humoristiques. On voit cela aux États-Unis avec le Daily Show. Au Québec, on a Tout le monde en parle (TLMEP) où on voit des humoristes qui prennent le devant pour devenir presque des chroniqueurs politiques. C’est un glissement vers le cynisme, non ?

JP:  Ça ne me dérange pas, des émissions comme TLMEP, ça a sa place dans la société. Le Jon Daily, je trouve cela extraordinaire. Je dis juste que les médias traditionnels ont une réflexion à faire. Je continue à penser que les États-Unis, même avec leurs imperfections, demeurent un beau modèle. Vous avez les talk-shows du dimanche, vous avez les bulletins de nouvelles le soir à 6 h 30 ou sept heures, et vous avez des programmes d’actualités dans le prime time. 60 minutes n’est pas sur le câble, cette émission est sur le réseau de CBS. Chez nous, on a semblé prendre toutes les émissions d’analyse et on a placé cela sur le câble puis on a les nouvelles à 10 heures ou à six heures. Mais le reste du temps, c’est du divertissement. Les médias sont importants pour nous donner de l’information, de l’analyse. Il peut y avoir de l’humeur, les Foglias ont de la place dans un journal, mais il faut qu’on réalise qu’un tweet ou un commentaire Facebook, ce n’est pas de la nouvelle, c’est de l’opinion. Je vois des journalistes sur ces médias que j’aurais crus complètement objectifs qui ont maintenant des partis pris…

MTC: C’est un grand changement…

JP: On n’est pas pour les museler. Mais je pense que s’il y a de l’opinion, de l’humeur et de l’enquête, il ne faut pas qu’on arrête de faire de la pure information et de l’analyse. Il faut qu’on ait tout et en ce moment, je sens qu’il y a un déséquilibre et ça me préoccupe.

MTC: Vous avez cité John F. Kennedy, une très belle citation que j’aimerais que vous repreniez, et que vous la mettiez dans le contexte actuel.

 JP:  Dans son discours inaugural, il y a eu son fameux « ask not what your country can do for you; ask what you can do for your country ». Il y avait aussi une phrase qui disait que la civilité n’est pas un signe de faiblesse. « Civility is not a sign of weakness.»  Je trouve que c’est un message bien important. Aujourd’hui, la population veut des solutions, du dialogue. Et la population ne voit pas un compromis comme étant un abandon, mais plutôt un consensus qui se développe avec des gens de bonne foi. La civilité est l’ingrédient du dialogue, l’approche que je favorise en terme de conduite de la politique. On peut être un républicain de la droite, un démocrate de la gauche mais on peut peut-être s’entendre sur la réforme de l’immigration. On peut être un conservateur à la Harper sur un point de vue, mais on peut aussi s’entendre avec un Mulcair néo-démocrate ou avec un libéral sur des points de vue communs. Je pense que lorsqu’on devient prisonnier de l’idéologie, on est incapable d’avoir des compromis. Pas de compromis, pas de progrès et on devient de moins en moins civils envers l’un et l’autre. J’ai eu deux maîtres à penser dans ma vie politique : Claude Ryan qui respectait toujours le point de vue des autres personnes et qui m’a toujours encouragé à faire de même, et Robert Bourassa qui a toujours tendu la main, même à ceux qui s’opposaient à lui et même à ceux qui, autour de lui, étaient en désaccord. Il souhaitait que ces gens-là s’expriment et qu’ils ne deviennent pas des yes-men. Ce sont deux personnes qui étaient très civiles dans leurs rapports avec les autres et dans leur propos. Dans les années 1960, quand les lois sur les droits civiques sont passées aux États-Unis, ça s’est passé avec les deux partis. Ça n’aurait pas passé si le président démocrate n’avait pas eu l’appui d’un Congrès dominé par des Démocrates divisés et ça lui prenait des Républicains. C’est le meilleur exemple de gens des deux côtés de la médaille qui ont agi pour le bien commun.

 

Propos édités par Michel Héroux