Journées d’étude des 30 avril et 1er mai 2021

Campus Universitaire Glendon, Université York, Toronto

https://yorku.zoom.us/j/95807975242

Affiche de la journée d'étude- Transcrire et traduire la parole amérindienne qui aura lieu le 30 avril et le 1er mai 2021

Objectifs

Il est impossible d’aborder la littérature de contact en Nouvelle-France sans traiter de la question des langues autochtones dont l’apprentissage, nécessité incontournable pour le missionnaire, l’aventurier comme le négociant, présentait de nombreux défis. Paul Lejeune, Gabriel Sagard, Marie de l’Incarnation, pour ne citer que quelques noms, ont souligné les difficultés que posait pour eux la maîtrise des idiomes du pays. Leurs écrits, comme ceux de bon nombre de leurs contemporains, sont émaillés de locutions et de termes amérindiens qui visent tantôt à accréditer leurs témoignages, tantôt à rendre compte de la réalité langagière de l’Autre, tantôt à reproduire une réalité locale intraduisible en français, tantôt à démontrer une compétence linguistique parfois gonflée à des fins de propagande. Toutefois, quelles qu’aient été les motivations des auteurs, les vocables amérindiens, uniques traces des échanges interethniques réels ou fabriqués, entraînent des problèmes d’interprétation en raison des erreurs de transcription, des variations dialectales d’un clan à l’autre, de la compréhension rudimentaire ou de l’oreille déficiente des Européens, voire de la fourberie des interprètes par le truchement desquels les conversations étaient souvent rapportées. À toutes ces embûches s’ajoutait encore l’imperfection des dictionnaires et petits vocabulaires mis à la disposition des voyageurs de l’époque.

Ces journées d’étude se veulent un laboratoire de recherche destiné à explorer des pistes de lecture et à soulever des questions sur la signification et sur l’usage des xénismes amérindiens dans un vaste corpus composé de relations de voyages ou de séjour, de correspondances, de chroniques missionnaires, de discours diplomatiques, ainsi que de lexiques et de répertoires de phrases ou de prières bilingues.

Programme  

Vendredi 30 avril

9 h 00 – 9 h 15

Ouverture des journées d’étude

Présidente de séance pour la matinée :

Catherine DESBARATS (Université McGill)


9 h 15 – 10 h 15

Stéphane GOYETTE– Université Carleton
« Contacts linguistiques euro-amérindiens dans les Amériques : le cas de la Nouvelle-France »

On examinera le cas des contacts langagiers entre Européens et Amérindiens de trois points de vue distincts mais complémentaires : 1- Du point de vue comparé : en quoi ces contacts en Nouvelle-France diffèrent-ils de ceux d’ailleurs dans les Amériques (Treize colonies anglaises, Brésil, Antilles, Mexique…), et en quoi leur ressemblent-ils ? On peut examiner la question sous différents angles : nature du vocabulaire échangé, composition des premières grammaires de diverses langues amérindiennes … 2- Du point de vue de la communication euro-amérindienne : de quelles stratégies se servait-on ? Plusieurs indices donnent à penser d’une part qu’il existait nombre de langues simplifiées (pidgins) servant à la communication euro-amérindienne, et d’autre part qu’il devait exister à une époque ancienne un français propre aux populations métissées. 3- Du point de vue de la diversité linguistique chez les Européens : on néglige trop souvent le fait que les actuels États-Nations d’Europe, à l’époque coloniale, se caractérisaient par un émiettement linguistique dont l’ampleur se compare à l’émiettement linguistique chez les Amérindiens d’alors. Quelles traces trouve-t-on de cette diversité d’antan et en quoi celle-ci a-t-elle affecté divers contacts langagiers euro-amérindiens ?

Madeleine SAVART – Université de Saint-Étienne (France) / Université de Montréal

« Usages typographiques des xénismes autochtones dans les récits viatiques en Nouvelle-France au XVIIe siècle »

Dans les relations de voyage et les récits d’expéditions en Nouvelle-France, les missionnaires et les commerçants font part de leurs difficultés à apprendre les langues autochtones, tout en insérant de nombreux mots  ̶ lexiques, syntagmes et expressions  ̶ au fil de leur narration. Ces termes surprennent le lecteur occidental, d’autant plus qu’ils sont souvent distingués, dans les versions imprimées des relations et récits de voyage qui circulent en Europe, par l’usage de l’italique ou par une répétition dans les annotations en manchette. L’usage de l’italique permet de marquer visiblement un terme au fil du texte là où l’usage de la manchette apparaît comme une balise et a un fonctionnement proche de l’index moderne, recensant les occurrences de tel ou tel terme. Cette différenciation de la langue autochtone au sein de la narration en français n’est pas systématique : certains narrateurs l’adoptent régulièrement, d’autres jamais, et d’autres encore en usent de façon à première vue arbitraire. À force de lire ces textes, dont une partie constitue mon corpus de thèse, il m’a semblé intéressant d’étudier la permanence – ou non – de ces gestes de différenciation typographique pour les termes qui ont déjà été traduits dans le texte et ne le sont plus dans les usages successifs qui en sont faits.

Je souhaiterais m’interroger sur la continuité de la différenciation typographique de la langue autochtone dès lors que le mot n’est plus utilisé pour la première fois et n’est plus traduit. Je me propose de faire ce travail de repérage, de classement et de première analyse des occurrences dans les textes de Samuel de Champlain (Des Sauvages, 1603), de Marc Lescarbot (L’Histoire de la Nouvelle-France, 1613), de Pierre Biard (Relation de la Nouvelle-France, 1616), de Gabriel Sagard (Grand Voyage au Pays des Hurons, 1632), de Paul Lejeune (Relation de la Nouvelle-France, 1634), de Jean de Brébeuf (Relation de la Nouvelle-France, 1636), de Barthélémy Vimont (Relation de la Nouvelle-France, 1644), de Jérôme Lalemant (Relation de la Nouvelle-France, 1646), de Claude Dablon (Relation de la Nouvelle-France, 1672), et de Chrestien Leclercq (Nouvelle Relation de la Gaspésie, 1691). Cela me permettra de voir quels sont les termes qui sont le plus rapidement l’objet d’un tel traitement, de quels champs lexicaux ils relèvent, et si des usages se distinguent selon ces champs lexicaux. L’étalement historique des textes du corpus m’invitera aussi à examiner si une cohérence se dégage des textes d’origines distinctes (textes laïcs, religieux, des jésuites, des récollets) ou si l’on peut isoler différentes tendances (le cas des relations jésuites à partir de 1632 offrant un cas d’étude intéressant, car elles ont toutes été éditées par le même éditeur).


Pause


10 h 30 – 11 h 30

Colin M. COATES – Université York

« Governor d’Argenson encounters Indigenous languages, 1658 »

The new Governor of New France, Pierre de Voyer d’Argenson arrived in Québec in July 1658.  He received the usual formal entry to the town, but because of Haudenosaunee military activity in the Montréal region, he left the colonial capital almost immediately to address the danger.  On his return to the capital, the Jesuits staged a play for his benefit.

 

This play, the oldest extant script available in St. Lawrence valley French settlement, was a further part of the formal welcome of the governor, and he assumed the key role as the required audience for this expression of fealty.  The young sons of the local elite performed the play, some of them in Indigenous disguise.  The actors playing Frenchmen spoke in formal rhyme, but the actors playing Wendat (Huron) and Algonquin men declaimed in French prose.  Four of them also spoke in Indigenous languages, with two of the languages representing “Foreign Nations”, one of which was unknown to the French.  Fortunately, a “Universal Spirit” was able to translate all the Indigenous speeches.  Following the representatives of the two distant nations, two captives, one Wendat and one Nez Percé added their voices, again translated by the “Spirit.” 

This was a project of meaningless translation, in the sense that the Governor would have had very little idea about any of the languages he was hearing.  Probably the only word he understood was “Onontio”, the Indigenous word used for “Governor,” a term repeated in all four Indigenous-language speeches.  This word was, itself, a translation of Governor Charles Huault de Montmagny’s patronym.  Perhaps the Governor was impressed by the facility with which the sons of the elite families expressed themselves in these Indigenous languages.  The purpose of this paper is to explore the ideas behind presenting Indigenous languages to a newly arrived governor, who would certainly have understood almost nothing about them.  What, in fact, were the Jesuits trying to communicate in using Indigenous languages in this play welcoming the governor to his new post?

Catherine BROUÉ – Maxime GOHIER – Marie-Ève LAJEUNESSE-MOUSSEAU – Université du Québec à Rimouski

« À parole égale, propos divergents : exemples d’instrumentalisation des discours diplomatiques autochtones (1665-1711) »

Depuis les études pionnières d’André Vachon (L’éloquence indienne, 1968) ou de Jean-Marie Therrien (Parole et pouvoir, 1986), la parole autochtone n’a cessé de fasciner les chercheurs qui s’intéressent à la Nouvelle-France. Au fil du temps, deux approches méthodologiques relativement distinctes se sont constituées, qui mobilisent chacune un type de sources différentes. D’un côté, les littéraires se sont principalement intéressés aux œuvres publiées, grâce auxquelles ils ont tâché de démystifier la figure de l’« Indien » construite par les colonisateurs européens ; à l’opposé, les historiens ont eu plutôt tendance à rechercher dans les archives manuscrites produites par les autorités coloniales des indices permettant de mieux comprendre les enjeux politiques ayant structuré les relations franco-amérindiennes.

Cette différence d’approche découle manifestement du fait que les œuvres publiées semblent d’emblée plus subjectives que les procès-verbaux officiels contenus dans les archives manuscrites. De fait, la nécessité de plaire au lectorat européen a entraîné un surcroît de travail de composition par les auteurs, et des motifs politiques, commerciaux ou financiers sous-jacents ont fait parfois intervenir des éléments fictionnels ou apparaissant tels dans les imprimés. À l’inverse, l’exactitude des documents officiels produits par les autorités coloniales, qui avaient la responsabilité de consigner –̶ au bénéfice de leurs supérieurs –̶ la teneur des pourparlers diplomatiques avec les ambassadeurs autochtones, a rarement été mise en cause. Pourtant, les œuvres publiées contiennent parfois des détails déterminants dont la précision ou la pertinence est garante de leur véracité, alors même qu’ils ne figurent pas dans les documents officiels, voire qu’ils les contredisent.

En nous appuyant sur l’analyse d’événements rapportés à la fois dans la correspondance coloniale et dans des œuvres publiées (en l’occurrence, les Nouveaux voyages du baron de Lahontan et le périodique mensuel le Mercure galant), nous montrerons comment manuscrits et imprimés peuvent s’éclairer mutuellement et compléter le narré historique qui en a été fait jusqu’ici.


Pause


11 h 45 – 12 h 45

Andreas MOTSCH – Université de Toronto

« Exégèse d’un chapitre frustrant : ”De la langue” chez Lafitau »

Le chapitre sur les langues amérindiennes dans les Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers temps (1724) déçoit ! Tel est le jugement des éditeurs anglais des Mœurs (Fenton et Moore 1974-77). Le verdict est depuis devenu un topos invoqué par à peu près tous ceux qui se sont penchés sur la question. De plus, la compétence linguistique en langues autochtones du missionnaire jésuite ne semble pas faire le consensus auprès des critiques littéraires (Laflèche). Il est donc temps de faire le point. 

Padgen (1986) et Galmiche (à paraître, 2021) ont pour leur part déjà indiqué la direction à prendre : le chapitre sur les langues doit être lu, comme tout chez Lafitau, à travers des lunettes théologiques, voire apologétiques. Je propose donc une exégèse de ce chapitre, un survol de la littérature secondaire (si le temps le permet) et une réflexion sur les paramètres d’une exploitation « linguistique ».

Marianne VOLLE – Université York

« Fonctions et enjeux des  »Termes et expressions des Sauvages” dans l’Histoire de l’Amérique Septentrionale (1722) de Bacqueville de La Potherie »

Au sein de l’Histoire de l’Amérique Septentrionale écrite par Bacqueville de La Potherie et parue en 1722 en quatre volumes, se trouvent les « Termes et expressions des Sauvages », un lexique de six pages qui doit permettre au lecteur de comprendre les ambassades, harangues et négociations entre les Iroquois et les peuples alliés de la Nouvelle-France longuement rapportées par l’auteur dans son ouvrage.

C’est à la suite de la préface de son troisième volume, écrit sous forme épistolaire et qui dépeint l’histoire des Iroquois, leurs mœurs et les guerres menées contre les Français et leurs alliés, que Bacqueville de La Potherie écrit ce lexique de termes utilisés par les Amérindiens. Dans sa préface, il écrit d’ailleurs à ce propos : « J’avouë que je suis un peu prolixe dans cet Ouvrage, mais tous ces Pourparlers, ces Harangues, & ces Expressions métaphoriques, ont quelque chose de si singulier, qu’en matiere de Sauvages mon but est de faire voir, en les raportant, que toutes ces Nations ne sont point ce que l’on en juge en France ».

En effet, Bacqueville de La Potherie produit non seulement une œuvre dense qu’il qualifie d’utile, mais un troisième et un quatrième volumes qui présentent la particularité d’être presqu’entièrement composés de dialogues entre Français et Amérindiens, de harangues diplomatiques ou encore d’ambassades. Ces volumes sont donc marqués par un recours permanent à des expressions et à des mots amérindiens. La liste d’expressions rassemblées dans les « Termes et expressions des Sauvages » met aussi en évidence le fait que ce sont surtout des actions et des objets impliqués dans le dialogue avec les Amérindiens qui s’y trouvent expliqués. Un certain nombre d’expressions concernent notamment les calumets, les chaudières ou encore les colliers, et mettent ainsi en avant l’importance du langage des objets, tout comme celle de la communication matérielle qui se substitue souvent à la parole.

Dans cette communication, il s’agira d’interroger la fonction de ce lexique écrit par Bacqueville de La Potherie, d’en comprendre l’utilité et les enjeux idéologiques au sein de son Histoire de l’Amérique Septentrionale, mais aussi, et à plus forte raison, dans le contexte colonial. On s’interrogera sur l’apport de ces explications de termes amérindiens à l’étude des mœurs des Autochtones, mais il s’agira surtout de voir en quoi le choix des définitions et des explications est mis au service du projet colonial, puisqu’elles doivent en même temps faciliter les échanges diplomatiques. On verra, en nous appuyant notamment sur les travaux d’Andreas Motsch, de Marie-Christine Pioffet, de Pierre Berthiaume, de Catherine Briand ou encore d’Alain Beaulieu, de quelle manière ce type de lexique encadre les rencontres et les échanges pour servir des alliances et, in fine, les intérêts de la Nouvelle-France.

 

Samedi 1er mai

9 h 00 – 9 h 15

Ouverture de la 2e journée d’étude

Président de séance pour la matinée :

Colin COATES (Université York)


9 h 15 – 10 h 15

Danielle CYR – Chercheure sénior, Université York; chercheure associée, Mi’gmawei Mawiomi Secretariat

« Les noms de lieux autochtones au Canada: une préhistoire gravée sur le paysage »

Les nouveaux arrivants au Canada sont sans doute frappés par la quantité de noms de lieux autochtones dans notre toponymie officielle, que ce soient des noms de provinces, de villes-capitales, de lacs et de rivières, etc. Et les Canadiens de toutes origines, précoces ou tardives, seraient encore plus étonnés s’ils se rendaient compte que, en outre, quantité de nos toponymes officiels, en anglais ou en français, ne sont au fond que de simples traductions d’anciens toponymes autochtones aujourd’hui effacés. Les travaux de Morissonneau (Le langage géographique de Cartier et de Champlain, 1978), de Litalien (Les explorateurs de l’Amérique du Nord : 1492-1795, 1993) et de Podruchny (Making the Voyageur World. Travelers and Traders in the North American Fur Trade, 2006), les gazettes officielles du Québec et du Canada, et les répertoires de noms de lieux des nations autochtones du Québec constituent un corpus extrêmement riche eu égard au sort des toponymes amérindiens du Canada. Ma présentation portera sur les processus de traduction et de remplacement des anciens toponymes autochtones ainsi que sur la richesse des renseignements historiques et préhistoriques que ces anciens toponymes ont inscrits dans notre paysage et qui datent souvent de plusieurs millénaires, pouvant même remonter à la fin de la dernière ère glaciaire.

 

John STECKLEY – Humber College
« What is missing?»

Material written in indigenous languages can provide a great source of historical information about 17th century New France.  By far the indigenous language most often recorded by in that century and area is Wendat, known then to the French as Huron, a name they gave the people.

There are dictionaries, grammars, prayers and other religious works. All were written by missionaries, and all but one by the Jesuits.  In the two earliest of these works, dating from the 1630s, we can gain some insights not available from other sources.  One of these works, based on time spent with the Wendat from 1623-4, is a dictionary, more a long phrasebook, compiled and recorded by Recollect Brother Gabriel Sagard.  The other is a catechism put together by Jesuit Father Jean de Brébeuf, his knowledge of the Wendat language acquired during his first stay, from 1626 to 1628 with the people.

I call this paper “What is missing?” as I will be discussing what is missing from the writing, and how that fills in gaps concerning what is know about the people and about the early communication between missionaries and the people they were working with.  This includes identification of a member of a people thought to have disappeared by that time, and errors made in the language, reflective of the differences between Wendat and French, and what that might have led the Wendat people to think of these visitors to their land. 


Pause


10 h 30 – 11 h 00

Peter MURVAI – Université York

« Quelques enjeux de la terminologie religieuse dans l’Histoire du Canada de Gabriel Sagard »

Un des défis les plus importants de la littérature missionnaire en Nouvelle-France concerne l’invention et l’entreprise de traduction des termes religieux dans les langues autochtones et à partir de celles-ci.

L’enjeu est de taille, vu qu’il en va de l’entreprise missionnaire elle-même : en effet, celle-ci serait inconcevable en l’absence d’un lexique théologique à la fois précis et complet, qui permette d’introduire les Autochtones dans les mystères dogmatiques de la foi chrétienne.

Ce vaste et difficile projet, plein d’embûches, a occupé bien des esprits missionnaires au début de la colonisation du Canada et a culminé avec la publication par le père Brébeuf d’un catéchisme en langue huronne1.

Mais le travail de traduction et d’invention d’une terminologie théologique en huron accompli par Brébeuf se situe dans la continuité des efforts de plusieurs missionnaires qui avaient déjà déblayé ce terrain épineux, notamment ceux de Gabriel Sagard, qui avait séjourné en Nouvelle-France en 1623-24 et qui avait laissé un dictionnaire huron-français, un récit de voyage (1632) et une Histoire du Canada (1636). Ce dernier ouvrage, dont une édition critique réalisée par Marie-Christine Pioffet (à paraître aux Éditions du Septentrion), constitue le corpus dans lequel on voudra prélever certains termes du vocabulaire religieux ; on situera ces termes dans leur contexte anthropologique et théologique, en soulignant les défis qu’ils posent à la traduction.

L’intérêt de notre enquête réside dans la reconstitution du choc lié au contact culturel dont témoigne le traitement de la terminologie religieuse dans le texte du missionnaire.

Sagard est un témoin à la fois attentif et empathique ; cependant, ses efforts de conversion des Autochtones, qu’il s’agisse de Hurons-Wendats ou de Montagnais (Innus), se heurtent à des incompréhensions fondamentales, notamment en ce qui concerne des notions chargées comme celles de divinité, de vie après la mort, de paradis et d’enfer, de péché, voire de morale.

Cette enquête sera donc axée sur la reconstitution des conditions de possibilité d’une compréhension interculturelle, et s’arrête, dans la prise en compte de quelques cas particuliers, aux différents défis qui touchent à la fois à la compétence langagière du missionnaire et de ses hôtes, et au conflit entre deux visions du monde hétérogènes.

[1] Jean de Brébeuf, Doctrine chrétienne du R.P. Ledesme de la Compagnie de Jésus, traduite en langage Canadois, autre que celuy des Montagnars, pour la conversion des habitans dudit pays, Rouen, Richard L’Allemant, 1630.


Pause


11 h 15 – 12 h 15

Fannie DIONNE – Université McGill

« Emprunts et silences dans les dictionnaires jésuites en wendat et en français »

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les missionnaires jésuites en Nouvelle-France se sont heurtés à une barrière linguistique en voulant convertir les Autochtones. Afin de réussir à communiquer – et à convertir – les différentes nations rencontrées, ces jésuites ont mis en place plusieurs stratégies d’apprentissage des langues autochtones, dont la rédaction de documents tels que des dictionnaires bilingues : en l’occurrence, des dictionnaires wendat (huron)-français.

Qu’en était-il donc des échanges linguistiques et de l’utilisation de xénismes en wendat ou en français durant les étroits contacts entre les jésuites et les Wendats, contacts qui ont duré plus d’un siècle ? Les dictionnaires manuscrits qui nous sont parvenus montrent d’une part que des mots typiques de la culture européenne se sont insérés (traduits ou repris presque tels quels) dans la langue des Wendats ; une étude linguistique permettrait de mieux les cerner. Les entrées des dictionnaires montrent d’autre part que les jésuites français ont fait très peu d’emprunts directs au wendat.

Dans cette présentation, je discuterai d’abord de certains de ces emprunts dans les deux langues avant de me pencher sur le dictionnaire comme outil linguistique; je proposerai enfin des hypothèses quant à l’absence de xénismes wendats dans le français des dictionnaires.

 

Marie-Christine PIOFFET – Université York

« Le Dictionnaire caraïbe-français du dominicain Raymond Breton : témoignage d’une réconciliation avortée ? »

Raymond Breton arrive à la Guadeloupe le 29 juin 1635 en compagnie de deux autres dominicains français. Il est un des premiers missionnaires à s’être intéressé aux langues caraïbe et arawak. De son séjour en Guadeloupe et dans les îles avoisinantes de 1635 à 1654, il a laissé un Dictionnaire caraïbe-français, publié en 1665. S’il constitue un document exceptionnel sur le parler des habitants des Petites Antilles, ce lexique s’avère bien plus qu’un outil linguistique. On y découvre en effet de nombreuses anecdotes et remarques ethnographiques absentes des autres écrits du missionnaire. Faisant ressortir la valeur documentaire de l’ouvrage, la communication proposée portera d’abord sur les omissions et les lacunes des traductions fournies, puisque plusieurs phrases répertoriées en langue locale ne trouvent pas toujours d’équivalents français. Puis, à travers les bribes de conversations contenues et les petites anecdotes recensées, nous entreprendrons également de montrer les tensions persistantes entre le dominicain et ses interlocuteurs autochtones. Nous verrons enfin comment les protestations des Caraïbes et des autres nations de la région y résonnent, notamment celle des femmes, à peu près aphasiques dans les relations du dominicain.

 


12 h 15 – Clôture des journées d’étude

Catherine BROUÉ est professeure de lettres à l’Université du Québec à Rimouski. Elle s’intéresse aux récits d’exploration du bassin du Mississippi dans le dernier quart du XVIIe siècle et aux dimensions implicites de ces textes, jusqu’ici occultées. Outre de nombreux articles dans différentes revues de lettres et d’histoire, elle a publié une édition modernisée de l’ouvrage Nouvelle Découverte de Louis Hennepin (1697) sous le titre de Par-delà le Mississipi (Éditions Anacharsis, 2011).


Colin COATES is professor in the Canadian Studies program at Glendon College.  He publishes in the areas of New France and Lower Canada, as well as environmental history and the history of Canadian utopias.  He is co-author (with Cecilia Morgan) of Heroines and History: Representations of Madeleine de Verchères and Laura Secord, and most recently co-editor (with Graeme Wynn) of The Nature of Canada.  He is currently Associate Principal, Research and Graduate Studies at Glendon College.


Danielle.E. CYR détient un doctorat en linguistique de l’Université Laval de Québec avec scolarité de doctorat en typologie du langage à l’Université de Stockholm. Depuis, elle a travaillé presque exclusivement sur les langues algonquiennes du Canada, en particulier l’innu, le cri et le mi’gmaq.

Au cours d’un séjour de deux ans dans la communauté mi’gmaque de Listuguj au Québec, elle a développé une solide alliance de recherche avec le conseil des Mi’gmaqs de la Gaspésie (Secrétariat Mi’gmawei Mawiomi (SMM)).

Depuis maintenant plus de quinze ans, son attention s’est concentrée sur la toponymie du mi’gmaq et des langues algonquiennes en général d’un point de vue typologique. Cette recherche l’a menée à la découverte de nombreux phénomènes propres à cette toponymie multimillénaire, foisonnante et toujours dynamique. Et au fait pratiquement ignoré qu’une étonnante quantité de toponymes canadiens, en anglais et en français, ne sont au fond que des traductions directes d’anciens toponymes algonquiens.


Fannie DIONNE est titulaire d’un baccalauréat en Études classiques et d’une maîtrise en Littérature française. Elle vient de terminer sa thèse de doctorat à l’université McGill, intitulée « Encrer la parole : écrit et oralité dans les dictionnaires jésuites en français et wendat (XVIIe-XVIIIe siècles) ». Ses recherches portent sur les contacts linguistiques en Nouvelle-France entre les peuples autochtones et les jésuites, ainsi que sur la collecte et la circulation des artéfacts autochtones aux XIXe et XXe siècles. Elle travaille actuellement sur un projet de recherche avec le professeur Allan Greer et est rédactrice pour les Jésuites du Canada.


Maxime GOHIER est professeur d’histoire à l’Université du Québec à Rimouski. Spécialiste des Autochtones sous les régimes français et britannique, il s’intéresse essentiellement à l’histoire politique des communautés amérindiennes et à leurs relations avec l’État. Il est notamment l’auteur d’Onontio le médiateur : la gestion des conflits amérindiens en Nouvelle-France (1603-1717) (Septentrion, 2008) et d’une thèse de doctorat sur la pratique pétitionnaire des Autochtones de la vallée du Saint-Laurent. Avec Catherine Broué, il dirige le projet de recherche partenariale et collaboratif « Nouvelle-France numérique ».


Stéphane GOYETTE est linguiste et enseigne à l’heure actuelle le français langue seconde. Il a étudié à Montréal et Ottawa, enseigné à Ottawa, Baton Rouge (Louisiane), Victoria (Colombie-Britannique) et Brandon (Manitoba), et est maintenant de retour à Ottawa: de ce fait il se considère citoyen de la Nouvelle-France. Ses recherches portent sur deux axes: la linguistique historique (particulièrement le passage du latin aux langues romanes) et les langues créoles. Plus récemment il s’est intéressé a d’autres situations de contacts linguistiques, dont les contacts euro-amérindiens de l’époque coloniale.


Marie-Ève LAJEUNESSE-MOUSSEAU est étudiante à la maîtrise à l’Université du Québec à Rimouski. Elle se spécialise dans l’étude du missionnariat féminin auprès des Autochtones de l’Est du Québec. Elle collabore au projet de recherche « Nouvelle-France numérique » et travaille au projet d’édition des Relations et Nouvelles de l’Amérique du Mercure Galant (1672-1715).


Andreas MOTSCH est professeur au Département d’études françaises et au programme de littérature comparée à l’Université de Toronto. Il s’intéresse à la théorie et à l’épistémologie de la littérature, au rapport de la littérature à d’autres savoirs et à la problématique de l’altérité dans le contexte historique et philosophique de la modernité. Ses recherches portent sur la littérature de contact et sur l’émergence du discours ethnographique dans le contact entre Européens et peuples autochtones des Amériques. Il est spécialiste de Joseph-François Lafitau et a publié de nombreux articles sur ce dernier ainsi qu’un livre intitulé Lafitau et l’émergence du discours ethnographique. Il collabore depuis quelques années avec Georges Tissot et Robert Melançon à une édition critique de l’œuvre maîtresse de Lafitau : Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers temps (Paris, 1724).


Peter MURVAI vient de soutenir un doctorat en études francophones à l’Université York. Le titre de son travail de thèse est « Nature et utopie à l’Âge classique : Foigny, Veiras, Fontenelle ». Ses publications portent notamment sur la littérature française du XVIIe siècle et du XXe siècle, l’utopie et l’analyse de discours, y compris le discours viatique en Nouvelle-France.


Marie-Christine PIOFFET est professeure titulaire à l’Université York de Toronto. Ses travaux portent principalement sur les textes de la Nouvelle-France et la littérature française du dix-septième siècle. Elle a publié près d’une centaine d’articles et une dizaine d’ouvrages. Elle dirige actuellement un projet de recherche sur les dialogues dans les relations de voyage en Amérique, subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Elle est membre de la Société royale du Canada.


Madeleine SAVART est doctorante en littérature française et rédige une thèse sur la représentation des langues étrangères et imaginaires dans les récits viatiques, dirigée par Delphine Reguig à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne et par Judith Sribnai à l’Université de Montréal. Plus généralement, ses recherches portent sur l’imaginaire linguistique français du XVIIe siècle et envisagent la présence d’altérités linguistiques dans les narrations viatiques de cette époque.


John L. STECKLEY has a PhD in Education from the University of Toronto. He taught at Humber College in Toronto, Ontario, from 1983 until his retirement in June 2015. Steckley is one of the last known speakers of the Wyandot (or Huron) language, which he has studied for over thirty years. Today he works closely with the Wyandotte Nation of Oklahoma to aid in language revitalization alongside other Wyandot linguists such as Richard Zane Smith from the Wyandot Nation of Kansas and Dr. Craig Kopris. He is also interested in place names as derived from indigenous languages, and aims to correct common misconceptions regarding their original derivations. His 2007, Huron-English Dictionary was the first book of its type for over 250 years to be published.


Marianne VOLLE est doctorante au programme d’Études francophones de l’Université York, en cotutelle avec le département d’Histoire de l’art de l’Université Paris 1. Sa thèse de doctorat s’intitule « À l’ombre des Amériques en fleurs : Représenter la flore du Nouveau Monde en France au Siècle des Lumières (1693-1804) », sous la direction des professeurs Swann Paradis et Étienne Jollet. Lauréate du concours des bourses de doctorat du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), Marianne est aussi assistante de recherche auprès de Marie-Christine Pioffet, pour son projet intitulé : « Le théâtre du Nouveau Monde : les dialogues dans les récits issus de la colonisation française de l’Amérique (XVIe-XVIIIe siècles) ». 

Nous tenons à remercier de leur générosité :

Le bureau du Vice-Président à la recherche et à l’innovation de l’Université York

Centre de recherche sur le contact des langues et des cultures

Conseil de recherches en sciences humaines du Canada 

Le Bureau du Principal du Campus Glendon

Le Centre Robarts pour les études canadiennes de l’Université York

Le Groupe de Recherche sur les études canadiennes francophones, francophiles et en français de l’Université York

Le Département d’Études françaises de la Faculté LA&PS de l’Université York